Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Préjudice d’anxiété - revirement de jurisprudence : la Cour de cassation corrige une injustice

25 juin 2019

- Une porte s’ouvre
- Maître Elisabeth Leroux : "C’est une incitation à la Prévention adressée aux employeurs"
- Cour d’appel de Nantes : l’anxiété bientôt reconnue pour les salariés du Tripode ?
- Banlieue de Lyon, 12 mars : une audience XXL dans une salle de mille places pour les anciens de Renault Trucks
- Paris, 22 mars : Succès de la mobilisation unitaire des syndicats et des associations
- Des témoignages édifiants
- 20 juin : 39 cheminots en cassation
- François Dosso (syndicat national des mineurs CFDT : "Ouvrir le préjudice d’anxiété à tous les cancérogènes avérés"


Une porte s’ouvre

Réunie exceptionnellement en formation plénière de toutes ses chambres, la Cour de cassation s’est posé la question suivante :

« Un salarié travaillant au contact de l’amiante dans un établissement n’étant pas inscrit sur les listes [ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité « amiante »] peut-il obtenir réparation de son préjudice d’anxiété lié au risque de développer une maladie professionnelle et dans quelles conditions ? »

Sa réponse a été la suivante :

« Même s’il n’a pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998, un salarié exposé à l’amiante et ayant, de ce fait, un risque élevé de développer une maladie grave peut demander la réparation d’un préjudice d’anxiété, sur le fondement du droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur. Il devra en apporter la preuve ».

Cet arrêt ouvre la possibilité de reconnaissance d’un préjudice d’anxiété à des salariés exposés à l’amiante qui ne pouvaient en bénéficier jusqu’ici.


La Cour de cassation corrige une injustice

Par un arrêt du 5 avril 2019, la Cour de cassation a élargi le champ d’application du préjudice d’anxiété à des salariés qui en étaient jusqu’ici injustement exclus. Maître Elisabeth Leroux, du cabinet TTLA, fait le point sur cette avancée et sur les conditions des batailles à venir.

Maître Elisabeth Leroux :

"C’est une incitation à la Prévention adressée aux employeurs"

Quelle était la situation avant le revirement de la Cour de cassation ?

Elisabeth Leroux : En mai 2010, elle avait reconnu pour la première fois le préjudice d’anxiété dans le cadre de la responsabilité civile contractuelle de droit commun.
Mais, en août 2015, elle a limité strictement l’accès aux salariés ayant travaillé dans un établissement inscrit sur les listes ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité « amiante ».

Pour eux était reconnue une triple présomption. L’exposition à l’amiante, la faute de l’employeur et l’anxiété étaient présumées dès lors que l’établissement était inscrit.
Mais la Cour excluait des salariés massivement exposés, tels que des maçons fumistes, des chauffagistes ou des sous-traitants.

Nous avons critiqué cette jurisprudence restrictive dont le fondement était dérogatoire au droit commun. Nous avons dit qu’elle engendrait une rupture d’égalité et qu’elle était discriminatoire.

Nous n’étions pas les seuls. La Cour d’appel de Paris a résisté pour des dossiers EDF, les cours d’appel d’Agen et de Lyon pour des entreprises sous-traitantes, celle de Poitiers pour des dockers.

Au sein de la chambre sociale de la Cour de cassation certains conseillers avaient souhaité que cette jurisprudence évolue. La chambre criminelle et la chambre civile avaient déjà reconnu ce préjudice dans le cadre de la responsabilité civile contractuelle. Le Conseil d’Etat également en mars 2017.

C’est dans ce contexte que l’assemblée plénière de toutes les chambres de la Cour de cassation s’est réunie pour trancher la question. A l’audience, le ministère public s’est prononcé pour un revirement de jurisprudence estimant que la position antérieure provoquait une rupture d’égalité et qu’elle était discriminatoire. Il a été suivi par l’assemblée plénière.

Qu’est-ce que ce revirement va changer ?

E.L. Pour les salariés des établissements inscrits, la triple présomption ne sera pas remise en cause.

Pour les autres, - dans le cadre de la responsabilité civile contractuelle - un salarié pourra faire reconnaître son préjudice d’anxiété s’il apporte la preuve de l’exposition, la preuve de l’anxiété et la preuve d’un lien de causalité entre exposition et anxiété.
L’employeur pourra faire valoir son point de vue en tentant de démontrer qu’il avait mis en oeuvre tous les moyens de protéger la santé de ses salariés. Il faudra répliquer en démontant ses arguments. La question de l’exposition fautive sera donc au coeur des débats judiciaires

Le plaignant devra aussi apporter la preuve de l’anxiété.

E.L. Oui. L’arrêt du 5 avril précise qu’il pourra le faire « par tous moyens ». Il peut s’agir d’attestations, de documents médicaux ou de coupure de presse par exemple.

Comment se posera désormais le problème de la prescription ?

.E.L. L’arrêt du 5 avril ne répond pas précisément à la question.

Les salariés ayant travaillé dans un établilssement inscrit relèvent d’un dispositif dérogatoire au droit commun instauré par l’article 41 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 et précisé par des arrêtés inscrivant tel ou tel établissement. Pour les autres établissements, on est sur le fondement de la responsabilité civile.

La durée du délai de prescription sera-t-elle de 5 ans ou de 2 ans ? La question est posée. La Cour de cassation devrait préciser prochainement sa position.

Mais quel sera le point de départ de ce délai de prescription ?

E.L. Pour les établissements inscrits, c’est aujourd’hui la date de parution de l’arrêté d’inscription au journal officiel et cela ne devrait pas changer.

Pour les autres, ce sera au salarié d’indiquer la date à laquelle il aura été informé du danger.

Des contestations sont à prévoir.

E.L. Il faut rappeler que l’article 9 du décret du 17 août 1977 sur la protection des salariés exposés aux poussières d’amiante précise que « L’employeur est tenu de remettre des consignes écrites » à toute personne affectée à ces travaux et de l’informer « des risques auxquels son travail peut l’exposer » ainsi que « des précautions à prendre pour éviter ces risques ».

Il s’agit donc d’une information écrite remise individuellement en main propre à chaque salarié qui doit en accuser réception.

Ces obligations ont été précisées et renforcées par les réglementations ultérieures.

Quelle est la portée de cet arrêt du 5 avril ?

E.L. C’est un message fort adressé aux employeurs pour qu’ils renforcent la Prévention des risques. Ils ont obligation d’inrformer et de protéger leurs salariés.

La Cour de cassation se réunira de nouveau en plénière le 20 juin pour des dossiers de cheminots de Marseille et de mineurs de Lorraine. Quels sont les enjeux ?

E.L. L’anxiété est une réalité vécue par tous les salariés exposés à des agents cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), tels que le trichloréthylène, la silice, le benzène, les fumées de diésel, le formaldéhyde, les rayonnements ionisants.

Ces produits, cités par l’avocat général lors de l’assemblée plénière, sont classés dans la catégorie 1 par le Centre International de recherches sur le cancer. On peut évoquer aussi les pesticides.

Le champ d’application du préjudice d’anxiété s’est élargi aux travailleurs exposés à l’amiante. Il doit maintenant s’élargir aux produits CMR. »


Cour d’appel de Nantes :
l’anxiété bientôt reconnue pour les salariés du Tripode ?

Une salariée du Ministère des Affaires étrangères avait demandé la reconnaissance de son préjudice d’anxiété.

Devant la Cour d’appel de Nantes, le ministère public a soutenu cette demande. Une cinquantaine de salariés du Tripode assistaient à l’audience.

On attend le jugement. Si la Cour suit le ministère public, cette décision fera sans doute jurisprudence.


Banlieue de Lyon, 12 mars :
une audience XXL dans une salle de mille places pour les anciens de Renault Trucks

Cinq sociétés impliquées (Renault Trucks, Iveco, Méritor, Fonderie de Vénissieux, Arquus), 1208 dossiers à instruire, plus de 1000 sièges disposés dans les mètres carrés de l’espace 140 de Rillieux-La-Pape en banlieue de Lyon et une somme totale de de 18 millions d’euros en jeu.

C’était la plus grande audience prudhomale jamais vue en France et cinq cars avaient été affrétés par l’APER pour convoyer une partie des plaignants depuis Vénissieux, siège de Renault Trucks.

13 ans de combat pour l’inscription

Renault Trucks avait été inscrit sur les listes ouvrant droit à la « pré-retraite amiante » en 2016, après 13 ans de combat judiciaire mené par l’association APER, les syndicats et la mutuelle d’entreprise.

La bataille pour le préjudice d’anxiété en était la suite logique. Exceptionnelle par son ampleur, cette procédure était en fait classique puisqu’elle s’inscrivait dans un cadre juridique fixé depuis des années par un arrêt du 3 mars 2015, la Cour de cassation a reconnu l’existence d’un préjudice d’anxiété résultant d’une « exécution fautive du contrat de travail » pour les salariés d’un établissement inscrit sur les listes.
L’exposition à chaque poste de travail

Maître Cedric de Romanet, du cabinet TTLA, l’a rappelé à l’audience. Il a décrit tous les postes de travail sur lesquels des salariés avaient été exposés dans ces entreprises : fusion, maintenance, soudure, forge, usine moteurs (joints, plaques), freins (garnitures), groupe électrogène, emboutissage, montage camion… jusqu’aux épouses qui lavaient les bleus de travail de leurs maris. Il est revenu sur le manque de protection et de mesures d’empoussièrement obligatoires depuis un décret de 1977 et sur le fait qu’aucun prélèvement n’a pu être fourni par les employeurs, pas davantage avant qu’après cette date.

Que les employeurs arrêtent de jouer avec la santé de leurs salariés !

« Quatre-vingt-dix pour cent des plaignants sont des retraités. Aujourd’hui ils ont peur et c’est pourquoi ils se révoltent. Aucun contact n’a pu être établi avec la direction de Renault Tracks. Il y a eu des audiences de conciliation qui n’ont donné aucun résultat. Aujourd’hui, tout l’enjeu de ce procès, c’est que les employeurs arrêtent de jouer avec la santé de leurs salariés, que la santé publique devienne une priorité et que l’on applique le principe de précaution » a dit Jean-Paul Carret, président de l’APER qui a lui-même passé 45 ans chez Berliet, RVI et Renault Trucks.
Les décisions des quatre conseillers seront rendues publiques le 29 octobre 2019.

Une seconde vague de 264 dossiers devrait suivre en 2020.


Paris, 22 mars :
Succès de la mobilisation unitaire des syndicats et des associations

La CGT EDF, la CFDT des mineurs de Lorraine, l’Andeva et la Cavam avaient minutieusement préparé cette journée. Un dossier de presse expliquait les enjeux avec une analyse du cabinet TTLA et d’émouvants témoignages (voir ci-dessous). Les journalistes avaient été alertés sur le caractère exceptionnel de cette réunion plénière de de la Cour de cassation.

Le 22 mars, à l’heure de l’audience, 600 personnes se sont retrouvées place Lépine. Un succès pour cette mobilisation unitaire. Associations et syndicats sont intervenus. Jean-Paul Teissonnière et Valentin Quadrone ont fait un compte-rendu d’audience. Tous se sont donné rendez-vous le 20 juin à Paris avec les cheminots et les mineurs.


Des témoignages édifiants

« J’ai une pensée pour l’épouse de mon collègue de la centrale de Creil, qui est décédée mardi dernier d’un mésothéliome au bout d’une indigne agonie, pour avoir lavé les bleus de travail de son mari.

Je soutiens mes collègues qui réclament justice de leur anxiété. »

Valentin Quadrone (EDF),
militant CGT et Advasum,
opéré d’un cancer broncho-pulmonaire.

« On déchargeait des sacs poussiéreux. On ne savait pas que c’était de l’amiante ni que c’était dangereux.

J’espère que la jurisprudence de la cour de cassation - jusqu’ici défavorable aux dockers - va évoluer dans le bon sens. Je ne lâcherai rien. Je continuerai ce combat jusqu’au bout. »

Michel Blanchard,
docker au port de
La Rochelle - La Pallice.
Addeva 17

« Je suis un des 17 d’Alstrom. J’ai fait partie de ceux qui, par leur lutte pugnace ont « gagné » l’indemnisation du préjudice d’anxiété devant la cour de cassation après une bataille de 4 années du syndicat CGT, du Cerader 24 et du cabinet d’avocats Teissonnière. »

JP Bertholom,
ancien secrétaire du CHSCT d’Alsthrom,
militant CGT et Cerader 24

« En tant que chaudronnier, j’ai été exposé à l’amiante au même titre que tous les salariés ou ouvriers d’Etat. Notre activité était réalisée sans aucune protection, ce qui explique les nombreuses maladies professionnelles qui ont été reconnues »

Jean-Marc Hostein
employé à la
SNPE de Saint-Médard,
Allo Amiante Bordeaux


20 juin : 39 cheminots en cassation

« SOS amiante a été créée par des cheminots du dépôt traction Saint-Charles, se souvient Raymond Rollin.

Ils avaient constaté que beaucoup de collègues mouraient de l’amiante sans profiter de leur retraite. C’est après un enterrement qu’ils ont décidé, il y a une vingtaine d’années, de créer avec le soutien de la Mutuelle une association qui s’est affiliée à l’Andeva.

Nous avons engagé une action pour faire reconnaître le préjudice d’anxiété avec Julie Andreu, du cabinet TTLA. La Cour d’appel d’Aix nous a déboutés.

Nous serons en Cassation le 20 juin. Malheureusement notre ami Bernard Bourguignon, un des fondateurs de l’association, ne pourra être avec nous. Il vient de décéder d’un cancer de l’amiante. Nous sommes de tout coeur avec sa famille. »


François Dosso
(syndicat national des mineurs CFDT :

"Ouvrir le préjudice d’anxiété à tous les cancérogènes avérés"

Le 20 juin, si la date ne change pas, la chambre sociale de la Cour de cassation en formation plénière devrait examiner la demande de 732 mineurs lorrains exposés non seulement à l’amiante mais à bien d’autres produits cancérogènes. Cette multi-exposition sera-t-elle prise en compte ? L’enjeu est considérable pour tous les salariés de ce pays.

Quel bilan tirent les mineurs de Lorraine CFDT de l’action du 22 mars devant le Palais de Justice de Paris et de l’arrêt de la cour de cassation ?

Nous sommes satisfaits. La mobilisation unitaire le jour de l’audience a été un succès. Cet arrêt est important. Il n’enlève rien aux salariés dont l’établissement est inscrit sur les listes. Et il permet à d’autres de faire reconnaître leur préjudice d’anxiété. C’est une avancée, mais beaucoup de dossiers se heurteront au problème de la prescription.

Nous attendons maintenant l’audience en formation plénière de la chambre sociale de la Cour de cassation qui devrait se réunir le 20 juin pour examiner les dossiers de 732 mineurs et de 39 cheminots.

Quel est l’enjeu de cette audience ?

La Cour de cassation a ouvert une porte pour les salariés exposés à l’amiante. L’ouvrira-t-elle pour ceux qui sont exposés à d’autres cancérogènes. Telle est la question qui sera posée le 19 juin.

Les mineurs de Lorraine ont été exposés non seulement à l’amiante mais aussi à la silice, aux résines phénoliques, au formaldéhyde et à beaucoup d’autres cancérogènes. Les prud’hommes avaient reconnu l’anxiété résultant de cette poly-exposition, mais la Cour d’appel de Metz nous a déboutés.

Elle a balayé les preuves que nous avions réunies : les témoignages, les PV de CHSCT, les tracts syndicaux, les infractions de la direction... Malgré l’importance du nombre de malades et de morts, elle a jugé que les Houillères n’avaient rien à se reprocher.

Peux-tu donner quelques chiffres ?

En 2013, quand les dossiers de 732 mineurs ont été déposés, aucun d’entre eux n’était malade. A ce jour, 230 d’entre eux sont atteints d’une maladie professionnelle reconnue et 39 en sont décédés.

Nous comptons :
-  113 maladies qui sont liées à l’amiante,
- 90 silicoses,
- 6 cancers de la peau,
- 5 cancers de la vessie,
- 7 cancers du rein,
- 1 lymphome,
- 2 mélanomes,
- 3 leucémies,
-  5 bronchopneumopathies obstructives (BPCO).

A ce jour, vingt fautes inexcusables de l’employeur ont été reconnues pour ces maladies. Pour les autres, c’est une question de temps.

Ces chiffres terribles sont le reflet de nos conditions de travail. Les mineurs ont été exposés à l’amiante au fond et en surface. Au fond, il y en avait dans les joints, les systèmes de freinage et les embrayages des machines. Nous découpions des joints de moteurs dans de grandes plaques de klingérite. Dans les ateliers en surface les plaques d’amiante étaient meulées sans aspiration ni protection. Pas de masque, aucune information sur le danger. Il y a eu des mesures d’empoussièrement à plus de 100 fibres par litre.

Il n’y avait pas que l’amiante. Il y avait bien d’autres cancérogènes dans la mine : la silice, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le trichloréthylène, le toluène, les PCB (dans les huiles hydrauliques)...

Peux-tu en donner des exemples ?

Une étude récente montre qu’on peut retrouver dans l’organisme d’un mineur des taux de PCB supérieurs aux normes, 30 ans après la fin de l’exposition aux huiles contenant des polychlorobiphéniles.

Les PCB provoquent diverses pathologies : des mélanomes, des cancers du foie et du pancréas...

Un chiffre me paraît frappant : entre 1985 et 1990, à Merlebach, on descendait un million de litres d’huile par an au fond de la mine. Et rien n’est remonté... Il y avait une nuée de flexibles hydrauliques pleins d’huile. Quand l’un d’eux claquait, on se retrouvait couvert d’huile de la tête aux pieds. C’était très fréquent.

Nous utilisions des explosifs. Les fumées de tirs se répandaient dans les galeries, avec des vapeurs nitreuses qui dépassaient jusqu’à 400 fois la valeur limite d’exposition professionnelle. Beaucoup de roches contenaient du mica. Les mouvements d’air transportaient des poussières de charbon, de silice, d’amiante, de mica et tous les cancérogènes libérés par les travaux d’exploitation.

Il y avait beaucoup d’engins diesel au fond de la mine. Nous étions obligés de respirer leurs gaz d’échappement. Cela donnait des maux de tête.

Au fond, nous n’avions rien pour nous changer. Pour nous nettoyer nous prenions du trichloréthylène qui est un produit cancérogène et mutagène ou encore des huiles cancérogènes. On s’en servait comme si c’était du savon ! Il y avait des karchers au trichlo pour nettoyer les moteurs électriques. Des dizaines de milliers de litres de trichlo ont été utilisés chaque année.

N’étiez-vous pas informés du risque ?

Non, nous ne savions pas que tous ces produits étaient dangereux. Ce sont des scientifiques comme André Cicollela, Jean-Claude Zerbib, Roger Rameau, Lucien Privet ou Henri Pézerat qui nous ont ouvert les yeux.

On a du mal à imaginer les conditions de travail d’un mineur à cette époque...

Au fond, nous étions exposés 8 heures par jour à de véritables cocktails chimiques. Il n’y avait pas de lavabos, pas d’eau, pas de chauffe-gamelle, pas de WC. On cassait la croûte avec un sandwich, sans se laver les mains. Les produits pénétraient dans notre organisme par toutes les voies possibles : par inhalation, par ingestion et par voie cutanée.

Les Houillères ne fournissaient pas de vêtements de travail. La société a toujours refusé de laver les bleus. Quand nous les ramenions à la maison, ils étaient dans un tel état qu’il fallait les faire bouillir. Dans les années 70, on travaillait le samedi. La lessive avait lieu le dimanche.

L’avocate des Houillères a osé dire que « les mineurs n’avaient qu’à changer de vêtements de travail tous les jours ».

Comment avez-vous travaillé pour prouver que le préjudice d’anxiété était bien réel ?

Pour apporter la preuve des multiples expositions professionnelles à tous ces cancérogènes, il a fallu réunir des milliers d’attestations. La concentration géographique des familles de mineurs dans les cités minières et les environs nous a facilité le travail : nous avons réuni des témoignages, des photos, des notes de service, des dessins. Cela nous a permis de documenter précisément chaque activité professionnelle de la mine.

Notre premier but est de prouver que nous avons été exposés à de multiples cancérogènes. Nous devons faire ce travail maintenant, car nous ne savons pas qui d’entre nous restera dans dix ans pour défendre nos veuves.

Qu’attendez-vous de la Cour de cassation ?

Nous attendons d’elle une jurisprudence qui ouvre le préjudice d’anxiété à tous les cancers avérés. Quand nous avons rencontré maître Jean-Paul Teissonnière en février 2013, il nous a lu la définition du « préjudice de contamination » donnée par Madame Lambert-Faivre, une juriste spécialiste du dommage corporel : « Préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique), qui comporte le risque d’apparition, à plus ou moins brève échéance, d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital ».

Chez nous cela a fait tilt ! Quel que soit le nom donné à ce préjudice, c’était bien cela que nous voulions faire reconnaître.

Depuis 2013, nous avons rencontré bien des difficultés. En première instance, le Conseil de prud’hommes de Forbach a reconnu le préjudice d’anxiété, mais il n’a accordé que 1000 euros d’indemnité. « Cela ne paye même pas le cercueil », a dit un collègue...

Puis, la Cour d’appel nous a déboutés, en suivant aveuglément les Houillères. Nous espérons que la Cour de cassation nous rendra justice.

A l’audience, nous serons aux côtés de nos camarades cheminots de Marseille.
Une deuxième mobilisation unitaire est prévue, dans le prolongement de celle du 22 mars, avec la CGT EDF, la CFDT des mineurs de Lorraine, l’Andeva, la CAVAM et la FNATH qui nous a rejoints.

Nous avons retrouvé le chemin de l’action commune. C’est une force et une promesse pour l’avenir.


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva No 60 (juin 2019)