Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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LE RAS-LE-BOL DES SOLDATS DU FEU

12 février 2019

- Les raisons de la colère
- L’incendie démultiplie les risques de l’amiante. Il y a une synergie avec d’autres cancérogènes.
- Les pompiers du Nord portent plainte pour mise en danger d’autrui.
- Il faut une traçabilité des expositions et un suivi médical renforcé.
- Suivi médical : une démarche de l’Andeva
- Martigues : pathologies pulmonaires et digestives.
- Saint-Quentin : faire évoluer les modes opératoires.


Les raisons de la colère

Il y a 250 000 pompiers en France dont 198 000 volontaires. Chacun rend hommage au dévouement et au courage de ces soldats du feu qui sauvent des vies.
Mais les pompiers en ont ras-le-bol.

Ils savent qu’ils font un métier à risques qui implique des mesures de prévention rigoureuses. Mais ils n’acceptent pas que leur santé et leur vie soient mis en danger par des expositions évitables à des produits dangereux.

Les pompiers CGT du Nord ont engagé des poursuites judiciaires pour « mise en danger de la vie d’autrui » parce que les demandes du CHSCT n’étaient pas prises en compte.

A Saint-Quentin, le CHSCT des pompiers a engagé une procédure de danger grave et imminent.

Dans plusieurs régions la question de la traçabilité des expositions professionnelles et du suivi médical des pompiers a été posée.

En intervention, ils respirent des fibres d’amiante et de cocktails de produits cancérogènes dans les fumées.

Un suivi médical renforcé est une nécessité impérieuse, tant pour les actifs que pour les retraités.


L’incendie démultiplie les risques de l’amiante. Il y a une synergie avec d’autres cancérogènes.

« J’ai été sapeur-pompier ptofessionnel pendant trente-deux ans. Je suis en retraite depuis neuf ans, explique Michel. En trente-deux ans de carrière, on ne m’a jamais parlé du risque amiante ».

Il y avait dans la profession des consignes opérationnelles et des mesures de prévention pour les risques mettant en jeu la vie des sapeurs-pompiers de manière immédiate : les explosions, les effondrements ? le risque chimique, le risque radio-actif et autres risques connus. Mais pas pour le risque des cancérogènes, mutagènes ou reproxiques (CMR) - dont l’amiante fait partie - qui provoquent des maladies, 30 ans après. J’en veux pour preuve la non reconnaissance, à ce jour, de l’amiante dans les attestations d’exposition. »

Neuf ans ont passé. Les choses ont-elles changé ?

L’existence d’un fort risque « amiante et CMR » chez les pompiers est confirmée par une étude [1].
récente de la Cnracl [2].

Les fumées et les suies véhiculent un dangereux cocktail de produits chimiques parmi lesquels des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).

Le risque amiante est important. Selon une étude américaine portant sur 30 000 pompiers, le risque de mésothéliome est deux fois plus élevé que dans la population générale.

La Cnracl cite le médecin biologiste Claude Danglot :

« Lors de la destruction d’un bâtiment par un incendie, les souffles et les brutales augmentations de température entraînent la libération de fibres d’amiante auparavant immobilisées (flocage, parois, plafonds, dalles de sol, joints…). Les fibres ainsi libérées sont entraînées vers le haut par un mouvement de convection ascendant et sédimentent lors de leur montée dans l’atmosphère en raison de la baisse de la température, puis retombent sur les sapeurs-pompiers et les personnels d’assistance situés en retrait. »

Dans la phase d’attaque du feu, les pompiers portent une protection respiratoire autonome (ARI), mais rarement dans les phases de déblai et de surveillance, alors que des millions de fibres d’amiante et des fumées toxiques sont encore dans l’air ambiant.

Les pratiques courantes sont inadaptées :

« Le personnel et le matériel n’étant pas décontaminés avant le retour en caserne, l’ensemble du personnel et le véhicule se trouvent ainsi contaminés ».

« Arrivés à la caserne, la priorité est donnée au reconditionnement du matériel au détriment de la décontamination du personnel. »

« Le nettoyage de la tenue de travail est souvent effectué au domicile du sapeur-pompier. »

La Cnracl recommande de « considérer que chaque incendie est une intervention exposant potentiellement aux risques CMR, amiante... ». Elle a publié une liste de préconisations qui - malheureusement - tardent à être appliquées.

Tant qu’il n’y aura pas de réelle avancée, les intervenants continueront à mettre leur santé en danger.


Les pompiers du Nord portent plainte pour mise en danger d’autrui

La CGT des agents du Sdis [3] 59 a déposé le 25 octobre une plainte contre X pour mise en danger d’autrui devant le tribunal de grande instance de Lille avec le cabinet TTLA.

« Un copain sur Lille est suivi pour un mésothéliome. Le père d’un autre, également pompier, a été emporté à Denain », a expliqué David Mirland, représentant du personnel CGT.

Il demande que des attestations d’exposition à l’amiante soient délivrées et que les mesures de prévention préconisées par la Cnracl en mars 2017 soient enfin appliquées.


Il faut une traçabilité des expositions et
un suivi médical renforcé.

Une avancée réglementaire

Un décret du 5 novembre 2015 a ouvert le droit au suivi médical post-professionnel pour les pompiers professionnels comme pour tous les agents de la Fonction publique territoriale, s’ils ont été « exposés à une substance cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction. »

Le bénéfice de ce suivi « est subordonné à la délivrance aux agents d’une attestation d’exposition (...) établie après avis du médecin de prévention par la collectivité ou l’établissement dont ils relèvent au moment de la cessation définitive de leurs fonctions ».

Des difficultés d’application

Or la mise en place d’un suivi médical des actifs et des retraités exposés se heurte à des difficultés.

Dans les Hautes Pyrénées par exemple des pompiers retraités avaient obtenu sur leur demande que le Sdis3 leur délivre des attestations. On y trouvait des produits CMR, mais pas l’amiante. Ils ont demandé qu’elles soient complétées.

Les sapeurs pompiers de la Manche étaient intervenus sur un bâtiment en feu : 1600 mètres carrés de toiture en fibrociment explosée par la chaleur, divers produits chimiques... En CHSCT a été demandée une trace écrite de ces expositions. Demande refusée !

Imposer une réelle traçabilité des expositions

La « traçabilité des expositions professionnelles » prévue par le décret de 2015 doit devenir une réalité.

Tout pompier qui a fait des interventions sur des incendies devrait être considéré comme a priori exposé à un cocktail de produits CMR (dont l’amiante).

En fait, le protocole de suivi médical devrait prendre en compte un effet de synergie entre plusieurs produits qui ciblent le même organe. Pour les cancérogènes pulmonaires (dont l’amiante), il faudrait des scanners thoraciques tous les deux ou trois ans et des explorations fonctionnelles respiratoires.
Les sapeurs-pompiers sont dans leur grande majorité des sapeurs-pompiers volontaires. Ils sont exposés aux mêmes risques que les sapeurs-pompiers professionnels. Et pourtant ils n’ont pas les mêmes droits.

Certes ils peuvent faire reconnaître une maladie contractée en service mais le droit à un suivi médical post-professionnel ne leur est pas reconnu par les textes réglementaires. Une injustice à corriger d’urgence.


Suivi médical : une démarche de l’Andeva

Au printemps dernier l’Andeva a écrit au ministre de l’Intérieur de l’époque pour demander :
1) la délivrance d’attestations d’exposition pour le suivi post-professionnel,
2) le droit à ce suivi pour tous les pompiers, volontaires et professionnels.

Le ministre avait demandé au Préfet directeur général de la Sécurité civile de nous recevoir. La rencontre n’a pas eu lieu. Une relance a été envoyée à l’actuel ministre de l’Intérieur.


Martigues :
pathologies pulmonaires et digestives.

« Un de nos adhérents était pompier professionnel à Naphtachimie de 1967 à 2002, et pompier volontaire à Martigues de 1975 à 2000, dit Houcine Rehabi de l’Adevimap. Il a un épaississement pleural, des pleurésies et un cancer de l’œsophage, qu’il va déclarer maladie professionnelle ».


Saint-Quentin :
faire évoluer les modes opératoires.

« Je suis pompier depuis 38 ans, explique Jean-Marc. J’ai déclaré des plaques pleurales dues à l’amiante. J’attends que cette maladie contractée en service soit reconnue.

Nous avons fait une réunion d’information en janvier 2018 avec le docteur Claude Danglot, la CGT, l’Adeva Picardie et l’Andeva. Une cinquantaine de pompiers étaient présents.

Il faut faire évoluer nos modes opératoires d’intervention, revoir les modalités de changement et de décontamination des protections individuelles.
Nous avons demandé des fiches d’exposition. Elle devraient être délivrées d’office à tout pompier opérationnel. »


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva N° 59 (janvier 2019)


[11) Impacts et prévention des risques relatifs aux fumées d’incendie pour les sapeurs-pompiers (Cnracl, mars 2017). En ligne sur Internet

[22Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales

[33 Sdis = Service départemental d’incendie et de secours