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Pénal - Eternit - Condé-sur-Noireau : 23 ans d’instruction pour un non-lieu général
Eternit - Condé-sur-Noireau : En une semaine, les magistrats du pôle de Santé publique ont délivré deux ordonnances de non-lieu dans deux dossiers emblématiques du procès pénal de l’amiante : le 11 juillet pour toutes les usines Eternit de France et le 16 juillet pour Ferodo-Valeo à Condé-sur-Noireau (Calvados). Chez Eternit, les victimes se comptent par centaines dans les usines de Thiant, Paray le Monial, Albi, Rennes, Triel, Caronte-Martigues. Chez Valéo, dans la « vallée de la mort », pas une seule famille n’a été épargnée par la maladie et le deuil. Les responsables de toutes ces souffrances sont connus de tous. Ce sont d’abord les industriels de l’amiante qui ont prolongé sciemment l’usage d’un matériau qu’ils savaient mortel, les représentants de l’Etat qui les ont laissé faire et les lobbyistes du « Comité permanent amiante » (CPA), créé, financé et manipulé par les industriels pour faire la promotion de l’usage soi-disant « contrôlé » de ce terrible cancérogène. * * * Les ordonnances de non-lieu rendues par les juges d’instruction du pôle de Santé publique sont un déni de justice. L’Andeva et ses associations locales ont interjeté appel. 23 ans d’instruction pour en arriver là ! En mai-juin 2017, les juges d’instruction avaient déjà annoncé qu’ils cessaient toute investigation parce que la responsabilité des maladies et des décès ne pouvait « être imputée à quiconque ». Il leur a fallu deux ans pour rédiger ces non-lieux ! « Impossible de dater l’intoxication » ? Les magistrats motivent leur décision par « l’impossibilité de dater l’intoxication des plaignants » par l’amiante, ce qui – selon eux - empêcherait d’établir un lien de causalité certain entre les fautes présumées et le dommage (maladie ou décès). Cet argument repose sur une interprétation grossièrement erronée du rapport d’expertise Lasfargues, Similowski et Pralong. Les connaissances scientifiques sur les mécanismes d’action de l’amiante dans l’organisme le démontrent. L’amiante est un cancérogène sans seuil d’innocuité dont les effets toxiques sont à l’œuvre dès les premières expositions. Ces effets ne résultent pas d’un événement ponctuel, mais d’un processus d’accumulation des fibres inhalées tout au long de la période d’exposition. C’est cette période qui doit être prise en compte. La responsabilité pénale ne requiert pas l’existence d’une date précise d’intoxication ni pour caractériser le lien de causalité, ni pour imputer l’infraction à une personne déterminée. « Impossible de démontrer l’existence d’une faute » ? Dans le dossier Eternit, le second argument pour motiver ce non-lieu est « l’absence de démonstration d’une faute pénale » imputable à la société Eternit et à ses dirigeants. L’ordonnance leur décerne un véritable certificat de bonne conduite pour avoir mené une « politique Amiante-Santé » considérée comme une « priorité stratégique », osant même affirmer que « toutes les dispositions ont été prises en vue de réduire l’empoussièrement des sites au minimum ». Les magistrats ont volontairement ignoré les innombrables témoignages des salariés qui suffoquaient dans ces ateliers saturés de poussières d’amiante, alors que dès avant 1977, la réglementation imposait des systèmes d’aspiration dans les locaux de travail et des protections individuelles.... Ils ont ignoré les multiples condamnations pour « faute inexcusable de l’employeur ». Ils ont préféré présenter des délinquants industriels comme des prix de vertu. Une telle partialité les disqualifie. La « politique Amiante-Santé » d’Eternit ? Parlons-en ! Dans la seule usine de Vitry-en-Charollais, le Caper Bourgogne compte officiellement à ce jour 147 décès dus à des maladies de l’amiante. Un chiffre sans doute bien inférieur à la réalité. La liste n’est malheureusement pas close. Cinq anciens salariés d’Eternit Caronte ont vu leur épouse tomber malade de l’amiante, parce qu’elle lavait leurs bleus de travail que l’entreprise refusait de nettoyer. L’Andeva et les associations locales concernées par les dossiers Eternit et Ferodo-Valéo ont fait immédiatement appel de ces ordonnances avec les cabinets TTLA et Ledoux. Un communiqué de la Fnath et de l’Andeva : L’Aldeva Condé-Flers, la Fnath et le syndicat CGT Honeywell se sont portés partie civile dans le dossier de Condé-sur-Noireau. Après l’annonce du non-lieu, l’Aldeva et la Fnath, ont publié un communiqué commun. « Les magistrats du pôle judiciaire de santé publique ont donc décidé d’enterrer l’ensemble des affaires de l’amiante. Après celui des Usines Eternit du 11 juillet, un nouveau non-lieu vient de tomber sur un site tout aussi symbolique, celui des usines Férodo Valéo de Condé-sur-Noireau, où les morts de l’amiante se comptent par centaines. » « L’Andeva et son association adhérente, l’Aldeva de Condé-sur-Noireau, ainsi que la Fnath ont donc décidé d’interjeter appel de cette ordonnance ». Jean François BORDE : « L’injustice, l’écoeurement » « J’ai travaillé 34 ans chez Eternit à Vitry-en-Charollais. Dans cette usine 147 personnes sont décédées à ce jour d’une maladie liée à l’amiante. Et cela ne compte pas ! Tout est fait pour qu’on ne croie plus à la justice. C’est grave. Les juges ont cru les mensonges de la direction, sans tenir compte des témoignages de plusieurs centaines de travailleurs interrogés par les gendarmes. Jamais le port du masque n’a été obligatoire chez Eternit. On n’avait que des masques en papier inefficaces. Si nous voulons un procès, ce n’est pas par esprit de vengeance, c’est pour tirer les leçons de cette catastrophe et donner un autre avenir à nos enfants. » Jean Claude BARBÉ : « Pourquoi cette omerta ? » « J’ai travaillé 32 ans à Condé-sur-Noireau. Cette décision a provoqué de la colère. Il y a eu tant de morts de l’amiante. Comment la justice peut-elle ne pas en tenir compte ? Pourquoi cette omerta sur les responsables ? Des industriels nous ont fait respirer des fibres mortelles, L’Etat a tardé à légiférer. Notre médecin du travail, le docteur Raphaelli, avait été mis en examen par la juge Bertella-Geffroy pour « non assistance à personnes en danger ». D’autres juges après elle lui ont donné le statut de simple témoin assisté. J’ai de la colère, mais je garde malgré tout espoir de voir un jour un procès pénal. Toutes ces souffrances, ces fins de vie terribles, à bout de souffle, tous ces morts n’auraient aucun responsable ? Je ne peux pas admettre qu’ils restent impunis. Ce serait donner un permis de tuer aux patrons pour l’amiante mais aussi pour d’autres cancérogènes. » Après 23 ans de bataille judiciaire, Il y a 23 ans, les premières victimes de l’amiante déposaient avec le soutien de l’Andeva des plaintes simples contre X avec constitution de partie civile pour « homicide involontaire » et « blessures involontaires ». Les juges actuellement en charge de l’instruction l’ont délibérément sabotée, avec le soutien du Parquet et de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris :
Face à cette faillite de la justice, nous n’avons pas le droit de baisser les bras. La plainte pénale est l’acte fondateur de l’Andeva. Si les victimes réclament un procès pénal, ce n’est pas pour se venger, c’est pour que la société tire toutes les leçon d’une tragédie pour en éviter d’autres. Gagner la bataille contre ces non-lieux c’est éviter Les associations de la Fnath et de l’Andeva ont contesté les ordonnances de non-lieu. L’affaire sera d’abord plaidée devant la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, jusqu’ici défavorable voire hostile aux victimes. Elle sera ensuite plaidée devant la Cour de cassation dans environ deux ans. La Haute Cour suivra-t-elle juges du pôle de Santé publique qui considèrent que l’impossibilité de fixer précisément la « date d’intoxication » des victimes rend a priori impossible d’imputer à quiconque la responsabilité des maladies et des décès liés à l’amiante, indépendamment des circonstances d’exposition ? Valider cet argument serait donner par avance un permis de tuer aux industriels, pour l’amiante, mais aussi tous les produits à effet différé (cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction). L’enjeu est donc considérable. La Cour de cassation ne saurait se dérober en invoquant la « souveraineté des juges du fond ». C’est une question de société qui nous concerne tous en tant que citoyens. Ce sera pour l’Andeva une bataille centrale. Nous sommes convaincus que nous ne serons pas seuls à la mener et qu’elle a des chances d’aboutir. Obtenir le jugement des responsables nationaux Les principaux responsables de la catastrophe sanitaire de l’amiante ne sont pas « ceux du bas de l’échelle ». Ce sont les décideurs politiques et économiques et ceux qui s’en sont fait les complices. Après l’annulation de leurs mises en examen par les juges d’instruction, la question d’utiliser une autre voie judiciaire est posée. La citation directe permet à une victime d’aller en justice, en supprimant la phase d’instruction par des magistrats professionnels. On dépose contre des personnes nommément désignées une plainte qui leur est signifiée par huissier. On doit réunir toutes les preuves de leur culpabilité, sans avoir les moyens d’investigation d’un juge. On doit payer les frais d’huissier et la consignation d’une somme destinée à payer une amende si la citation est jugée abusive. L’Andeva et ses avocats ont travaillé sur l’utilisation de cette voie de recours, avec de nouvelles incriminations. Elle soulève d’importantes difficultés juridiques, dues principalement aux interférences avec les procédures en cours et les jugements déjà rendus. Au vu de ces difficultés, l’Andeva ne s’est pas à ce jour engagée dans cette voie. Une autre association, l’Ava, annonce qu’elle le fera à l’automne. Si cette citation est déposée, nous étudierons de près son contenu. Nous menons le combat pour que tous les responsables soient jugés depuis près d’un quart de siècle. Si nous estimons qu’il y a une chance d’obtenir que ceux qui sont encore vivants rendent des comptes à la justice, nous ne la laisserons pas passer. En tout état de cause, l’Andeva continuera la bataille judiciaire contre les non-lieux. Articles tirés du Bulletin de l’Andeva No61 (septembre 2019) |