Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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PRÉJUDICE D’ANXIÉTÉ

18 septembre 2019

- CASSATION : L’impact de l’arrêt du 5 avril
- Prud’hommes de Compiègne : Une belle victoire contre Saint-Gobain (Thourotte)
- Cour d’appel de Nantes : Une fonctionnaire du Tripode obtient gain de cause.
- COUR D’APPEL DE GRENOBLE : L’anxiété des sous-traitants d’Iveco reconnue
- CASSATION : L’enjeu du futur arrêt du 11 septembre
- LE 20 JUIN à Paris : Mobilisation unitaire pour soutenir la demande des 732 mineurs lorrains : « Le préjudice d’anxiété doit s’étendre à d’autres cancérogènes que l’amiante »
- 732 MINEURS : de Lorraine : Des chiffres effrayants
- 39 cheminots de Marseille


CASSATION :
L’impact de l’arrêt du 5 avril-

Par un arrêt du 5 avril 2019, la Cour de cassation, réunie en formation plénière, a élargi la reconnaissance du préjudice d’anxiété.

Elle ne reconnaissait jusqu’à présent ce préjudice que pour des salariés ayant été exposés à l’amiante dans un établissement inscrit sur les listes ouvrant droit à la « pré-retraite amiante ».

Cette jurisprudence restrictive excluait des salariés fortement exposés. En ouvrant la réparation de ce préjudice, elle a corrigé une première injustice.

Cela a permis des victoires chez Saint-Gobain à Thourotte et au Tripode à Nantes, deux établissements encore non inscrits à ce jour malgré une dure bataille des salariés concernés.

La Cour de cassation rendra un second arrêt le 11 septembre sur les dossiers de 732 mineurs exposés à de multiples cancérogènes. Nous saurons alors si elle corrige une seconde injustice en ouvrant par principe la reconnaissance du préjudice d’anxiété à des travailleurs ayant été exposés à d’autres cancérogènes que l’amiante.


Prud’hommes de Compiègne :
Une belle victoire contre Saint-Gobain (Thourotte)
128 salariés exposés à l’amiante ont vu
leur préjudice d’anxiété reconnu par la justice

Le 3 juin, les Prud’hommes de Compiègne ont condamné Saint-Gobain à verser 20 000 euros à chacun des 128 salariés de l’usine Saint-Gobain à Thourotte en Picardie, une usine de fabrication et de transformation du verre qui n’a pas été inscrite à ce jour sur les listes ouvrant droit à la « pré-retraite amiante ».

« Saint-Gobain a manqué à son obligation de sécurité »

« C’est une grande satisfaction d’obtenir réparation de ce préjudice, se félicite Élisabeth Leroux, l’avocate des salariés. Jusqu’à présent, la Cour de cassation limitait sa reconnaissance aux seuls salariés dont l’établissement est inscrit sur des listes ouvrant droit à la « préretraite amiante ». L’établissement de Thourotte n’était pas inscrit, et pourtant le préjudice d’anxiété a été reconnu. C’est la première décision de justice qui prend en compte le revirement de jurisprudence du 5 avril dernier.
La cour a reconnu que Saint-Gobain avait manqué à son obligation de sécurité.
L’indemnisation accordée par le conseil des Prud’hommes est la même pour tous. Le tribunal n’a pas fait de distinction entre plaignants. Il a accordé 20 000 euros à chacun d’entre eux. »

Une crainte justifiée d’avoir un jour une maladie grave

« Nous avons démarré cette bataille pour le préjudice d’anxiété en 2013, se souvient Jean-Claude Patron, animateur du collectif CGT et membre de l’Ardeva Picardie. La préparation des dossiers a été un travail énorme. Les collègues nous apportaient des papiers. Chacun d’eux a été reçu au moins deux ou trois fois. Sans le soutien de l’Ardeva et du syndicat, nous n’aurions jamais réussi. »

Jean-Claude souligne que la crainte d’avoir un jour une maladie grave est malheureusement justifiée : « Depuis 2013, cinq des plaignants - non malades au départ - sont décédés d’une maladie liée à l’amiante. Après le jugement, deux nouveaux cas de maladies professionnelles se sont déclarés chez des membres de notre collectif. »

« On leur devait bien ça ! »

Le 20 juin, lorsque les dossiers des 732 mineurs de Lorraine multi-exposés à des cancérogènes ont été plaidés à la Cour de cassation, le collectif a rempli un car pour venir à Paris leur apporter sa solidarité.

« On leur devait bien ça ! », dit Jean-Claude.

Saint-Gobain a fait appel

Lors de l’assemblée générale des actionnaires, qui s’est tenue quelques jours après le jugement, Pierre-André de Chalandar, le PDG du groupe Saint-Gobain, n’a pas souhaité s’étendre sur le sujet. « Si nous faisons appel, c’est pour avoir étudié le jugement et pour des raisons techniques, a-t-il expliqué. Cela ne signifie pas que nous ne sommes pas sensibles à cette question et que Saint-Gobain se tourne vers le déni ». Un jésuite n’aurait pas dit mieux...

Le combat continue.


Cour d’appel de Nantes :
Une fonctionnaire du Tripode obtient gain de cause.
La Cour a jugé que
l’État avait commis une double faute

L’anxiété reconnue

Pendant 21 ans, de 1972 à 1993, une fonctionnaire avait passé ses journées dans des bureaux au Tripode, cette tour bourrée d’amiante, où ont travaillé des agents des affaires étrangères, du Trésor public et de l’Insee.

Elle a respiré des poussières d’amiante et vu des collègues en mourir. Elle demandait l’indemnisation de son préjudice d’anxiété. Elle a gagné.

L’Etat condamné

L’intersyndicale des amiantés du Tripode souligne que « la Cour administrative d’appel de Nantes a retenu la double faute de l’État en tant qu’employeur public et comme législateur à l’égard de ses salariés agents de l’État.

La Cour a fixé à 9000 euros le montant de l’indemnisation que devra verser l’administration à notre collègue. Cette reconnaissance ne supprimera pas l’anxiété qu’elle ressent. comme nous, à chaque toux, fièvre, malaise, difficulté respiratoire. Mais cette indemnisation est un témoignage que la Justice refuse de cautionner notre empoisonnement par l’amiante durant 20 ans, sans aucune mesure de protection.
Aujourd’hui nous pensons très fort à nos collègues décédés prématurément ou malades... »

«   C’est beaucoup d’émotion après toutes ces années de lutte », a dit Francis Judas de l’intersyndicale.

« La justice a rétabli la vérité »

« Cette décision de la cour administrative d’appel concerne une personne. Quatorze autres demandes de reconnaissance de préjudice d’anxiété peuvent désormais être validées. Et plus encore puisque nous totalisons 180 demandes de préjudice d’anxiété »

Cette victoire est une reconnaissance.

L’inspection générale des affaires sociales (Igas) avait refusé d’inscrire le Tripode sur la liste ouvrant droit à une cessation anticipée d’activité amiante. « La décision de la cour administrative d’appel de Nantes rétablit la vérité, en reconnaissant la responsabilité de l’Etat », explique Francis Judas.


COUR D’APPEL DE GRENOBLE :
L’anxiété des sous-traitants d’Iveco reconnue-

Le 28 mai dernier, la Cour d’appel de Grenoble a accordé 15 000 euros au titre du préjudice d’anxiété à trois salariés de l’entreprise de nettoyage ONET Services qui travaillaient en sous-traitance sur le site d’Iveco Bus à Annonay (Ardèche)

Les sous-traitants ne sont pas
des « sous-hommes » ni des « sous-femmes »

Depuis le classement de l’usine IVECO en site amianté en 2007, des salariés d’ONET qui travaillaient sur ce site demandaient à se voir reconnaître un préjudice d’anxiété. Le conseil des prud’hommes de Valence avait refusé.

Pendant longtemps, la jurisprudence reconnaissait ce préjudice pour les salariés des entreprises inscrites sur les listes pour la « pré-retraite amiante », mais le refusaient aux salariés de leurs entreprises sous-traitantes qui pourtant respiraient les mêmes fibres cancérogènes.

Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 juin 2017 a changé la donne. Il considère que le critère d’éligibilité n’est pas le fait d’être salarié dans l’établissement classé mais celui d’avoir été exposé sur le site classé.

C’est ce critère qu’a retenu la cour d’appel de Grenoble le 28 mai dernier pour trois salariés d’ONET. La bataille a duré onze ans. Ils étaient sept au départ. L’un d’eux est décédé depuis.

« La justice reconnaît enfin que les salariés sous-traitants ne sont pas des sous-hommes et des sous-femmes », se félicite Pierre-Jean Serrières, l’un des trois employés concernés.. « Nous avons une pensée pour notre camarade Carlos, décédé sans avoir vu notre grande victoire.
Un grand merci au cabinet Teissonnière et à l’Aldeva Drome-Ardèche. »


CASSATION :
L’enjeu du futur arrêt du 11 septembre

Le 5 avril 2019, la Cour de cassation a ouvert la possibilité de demander la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété à tous les salariés exposés à l’amiante.
Le 11 septembre elle se prononcera sur le pourvoi de 732 mineurs de Lorraine exposés à divers cancérogènes qui veulent faire reconnaître ce préjudice.

Deux questions lui seront posées :

1) Le préjudice d’anxiété peut-il être reconnu pour des cancérogènes autres que l’amiante ?

2) L’arrêt de la Cour d’appel de Metz qui a débouté les mineurs doit-il être cassé ?
à l’audience du 20 juin, l’avocate générale a dit qu’elle était favorable à l’élargissement à d’autres cancérogènes.

Mais elle s’est prononcée pour un rejet du pourvoi des 732 mineurs de Lorraine.
Une telle position est injuste et incompréhensible.

Lorsque ces mineurs ont engagé cette procédure, aucun des plaignants n’était malade. Six ans plus tard, il y a chez eux une effrayante densité de cancers dont l’origine professionnelle a été reconnue.


LE 20 JUIN à Paris :
Mobilisation unitaire pour soutenir la demande des 732 mineurs lorrains : « Le préjudice d’anxiété doit s’étendre à d’autres cancérogènes que l’amiante »

Le 20 juin, les chambres sociales de la Cour de cassation, réunies en formation plénière, examinaient les dossiers de 732 mineurs de Lorraine et de 39 cheminots de Marseille.

Ce jour-là se sont tenus une conférence de presse et un rassemblement unitaire place du Châtelet.

Une conférence de presse

Avant le rassemblement, François Dosso (CFDT Mineurs), Alain Bobbio (Andeva), Valentin Quadrone (CGT Energie) et Georges Arnaudeau (Cavam) ont répondu durant une heure aux questions des journalistes. Un dossier de presse très documenté leur avait été remis.

Un rassemblement Place du Châtelet

Venues de diverses régions de France, des délégations se sont rassemblées place du Châtelet. 250 mineurs de la section CFDT avaient fait le déplacement depuis la Moselle. Des délégations de la section CGT Energie et des associations affiliées à l’Andeva et à la Cavam participaient à ce rassemblement unitaire ainsi qu’une importante délégation de l’Usine Saint-Gobain de Thourotte.

Pour l’Andeva, l’Addeva 88, l’Adeva Centre, l’Adeva Rouen Métropole, l’Addeva 93, le Caper Bourgogne, l’Adeva Cherbourg et l’Adeva Picardie étaient présentes.

Un pupitre avait été installé place du Chatelet. Des représentants de toutes les organisations appelantes se sont succédés pour réclamer l’extension du préjudice d’anxiété à toutes les personnes exposées à des produits leur faisant courir un risque vital. Pour l’Andeva,c’est Jacques Faugeron, le président de l’association nationale qui est intervenu.

Une représentante des mineurs a lu à intervalles réguliers des témoignages de veuves sobres et touchants.

Le combat judiciaire des mineurs

Au même moment, le débat judiciaire s’engageait au Palais de justice.

732 anciens mineurs des Houillères de Lorraine, exposés à une liste impressionnante de cancérogènes (dont l’amiante) avaient demandé la réparation de leur préjudice d’anxiété devant les prud’hommes. Ils avaient reconnu ce préjudice mais n’avaient accordé qu’une indemnisation dérisoire de 1000 euros. Les mineurs avaient saisi la Cour d’appel de Metz qui les avait déboutés. Ils s’étaient alors pourvus en cassation.

« Ces maladies ne relèvent pas de la fatalité »

Devant la Cour de cassation, leur avocate Manuela Grévy évoque les multiples cancérogènes utilisés : les huiles de houille, la créosote, les huiles de coupe, le formaldéhyde, les rayonnements ionisants, l’amiante, le benzène… :
« Au moins 150.000 morts depuis 1945, dont 100.000 imputables aux seules maladies respiratoires. En 2004 encore, il y avait plus de 500 décès par an. Entre 3000 et 4000 fautes inexcusables ont été gagnées contre les Houillères. On ne peut pas dire que ces maladies professionnelles relèvent de la fatalité

En 2013, lorsque 745 mineurs exposés à de multiples cancérogènes ont engagé cette procédure, il n’y avait parmi eux aucun malade. Aujourd’hui l’on compte dans cette cohorte 231 maladies professionnelles reconnues dont 113 dues à l’amiante et 90 à la silice ! 41 d’entre eux sont décédés. »

Les Houillères ont manqué à leur obligation de sécurité. « Les mineurs n’avaient qu’un seul et même couteau pour couper les joints en amiante et pour couper leur casse-croûte. Ils travaillaient à sec, dans des nuages de poussières.

En 1981, alors que la réglementation prévoyait entre 2000 fibres par litre, on dénombrait sur les postes de travail entre 1400 et 107 000 fibres par litre. »
La Cour d’appel de Metz a balayé l’ensemble des preuves, considérant que des milliers de condamnations en faute inexcusable de l’employeur ne constituaient pas une preuve de l’exposition individuelle de chaque salarié.

On ne peut pas dire que ces maladies professionnelles relèvent de la fatalité. Elles sont le résultat d’une organisation du travail et d’une course au rendement, qui sont en contradiction avec l’obligation de sécurité qui incombe à l’employeur. »

Les arguments de l’avocate générale

L’avocate générale ne met pas en doute « la particulière pénibilité du métier de mineur ».

Sur le terrain du droit, elle admet qu’après le premier arrêt rendu par la cour de cassation le 5 avril, le préjudice d’anxiété puisse être reconnu par des salariés exposés à d’autres cancérogènes que l’amiante, à condition qu’ils apportent la preuve de la réalité de cette exposition et de l’anxiété qui en résulte.

Mais, dans le cas présent elle estime que la demande des mineurs de Lorraine doit être rejetée.

Elle considère que les dispositifs de pré-retraite des mineurs « ne peuvent être assimilés à cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. »

Elle estime que l’appréciation des faits et des preuves relève « du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond » auxquels la Cour de cassation « ne saurait se substituer ».

Selon elle, la cour d’appel de Metz a bien fait son travail et il n’y a pas lieu de casser son arrêt « même s’il n’est pas rédigé d’une façon aussi rigoureuse qu’on pourrait le souhaiter ».

Juste après l’audience, la délégation et les avocats reviennent ensemble place du Châtelet où Cédric de Romanet fait un compte rendu.

La Cour de cassation rendra son arrêt le 11 septembre.


732 MINEURS DE LORRAINE :
Des chiffres effrayants

Dans le dossier de presse, un tableau statistique compare l’incidence de divers cancers diagnostiqués parmi les 732 plaignants avec celle des hommes de 55 à 75 ans dans la population masculine.

Chacun de ces mineurs a :
- 62 fois plus de risque de contracter une maladie liée à l’amiante,
- 146 fois plus de risque de contracter une leucémie,
- 1700 fois plus de risque de contracter un cancer du rein,
- de 3300 à 4400 fois plus de risque d’avoir un cancer de la peau.


39 cheminots de Marseille

Depuis l’arrêt du 5 avril rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation, la jurisprudence permet de prendre en compte le préjudice d’anxiété pour des travailleurs exposés à l’amiante, dont l’établissement n’est pas inscrit sur les listes.

C’est le cas des 39 cheminots de Marseille et de la SNCM, pour lesquels l’avocate générale a pris une position favorable à la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété.


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva No 61 (septembre 2019)