Pendant un demi-siècle,
le Comptoir des
Mineraux et Matières
premières (CMMP) a
broyé de l’amiante au
cœur d’une zone pavillonnaire
d’Aulnaysous-
Bois.
L’usine
d’amiante était à 50
mètres de l’école…
C’est là qu’a été contaminé
Pierre Léonard,
la première victime
connue, quand il était
enfant. Il est mort, 40
ans plus tard, d’un
mésothéliome.
A ce jour les associations
ont recensé
une cinquantaine de
victimes. La majorité
d’entre elles ne travaillait
pas dans l’usine :
épouses contaminées
en lavant les bleus de
leur mari, riverains
habitant ou travaillant
au voisinage de l’usine.
Près de la moitié
sont décédées. Une
vingtaine de dossiers
au pénal sont en
cours.
L’usine a fermé en
1991, mais le site n’a
pas été dépollué. Aussi
longtemps que cette
usine délabrée restera
à côté d’eux, les riverains
et les écoliers
seront en danger.
Le 16 avril, cinq
associations ont appelé
à manifester devant
l’usine pour exiger
qu’elle soit désamiantée
sans délai, que les
responsables soient
jugés, que les victimes
soient recherchées et
informées sur leurs
droits, et que les personnes
exposées aient
droit à un suivi médical
gratuit.
Aulnay-sous-Bois, samedi
16 avril, 10 h 30. La manifestation
démarre lentement,
dans un imposant silence. En
tête du cortège, une banderole
unitaire : « L’amiante ne
doit plus tuer à Aulnay. Désamiantez
sans délai l’usine
CMMP ! ». Puis des pancartes
avec les noms des cinq
associations : le collectif des
riverains, les parents d’élèves
de l’Ecole du Bourg, l’Addeva
93 (Association départementale
de défense des
victimes de l’amiante en
Seine-Saint-Denis), Ban Asbestos
(bannir l’amiante) et
Aulnay Environnement.
Derrière eux, plusieurs
rangées de pancartes avec
des visages tristes stylisés,
comme lors des marches des
veuves à Dunkerque. Chacune
porte le prénom d’une
personne décédée.
Les passants, sidérés,
regardent s’avancer en silence
ces dizaines de visages
qui sortent enfin de l’anonymat,
prenant soudain
conscience de l’ampleur du
drame qui s’est joué dans
leur ville.
Ce cortège digne et grave
c’est l’hommage rendu à
tous ceux dont l’usine d’amiante
a volé la santé ou la
vie. C’est aussi un moyen de
prendre l’opinion publique à
témoin : « plus jamais ça ! »
La santé de nos
enfants n’est pas
à vendre
Les associations attendaient
une centaine de personnes.
La manifestation en
rassemble trois fois plus.
Dans le cortège, c’est une
véritable forêt de pancartes :
La santé de nos enfants n’est
pas à vendre ! Je veux vivre
à Aulnay sans amiante !
Justice pour les victimes !
Monsieur, le Préfet, réveillezvous
!
Le cortège s’arrête près
du marché du Vieux Pays.
Gérard Voide, du collectif des
riverains, prend le micro
pour rappeler les objectifs de
cette manifestation : « Nous
voulons le désamiantage et
la déconstruction du CMMP
en toute sécurité pour les
riverains et les élèves. Nous
voulons que justice soit rendue
pour les victimes qui
attendent depuis sept ans un
procès au pénal. Nous voulons
une véritable enquête
épidémiologique avec un
signalement des cas par les
médecins d’Aulnay et de Sevran
auprès des autorités
sanitaires. Nous demandons
une large information des
victimes et de la population et
un suivi médical des personnes
exposées. »
« Le CMMP a violé la loi
qui impose de protéger les
salariés des poussières nocives.
Il a violé l’arrêté d’autorisation
qui imposait d’exercer
cette activité dans des locaux
parfaitement étanches ».
La gorge nouée par l’émotion,
Nicole Voide, de Ban
Asbestos, prend la parole à
son tour : « Pierrot, mon
frère, est décédé à 49 ans
d’un mésothéliome. Je suis
sûre que s’il pouvait voir cette
manifestation, il serait content
de savoir que sa mort n’a pas
servi à rien ».
Au nom des parents d’élèves,
Catherine Tatri-Lerat dit
combien elle a été scandalisée
en découvrant cette situation
: « il y a un mur mitoyen
entre la cour de l’école
maternelle et l’usine d’amiante.
Ce mur est celui de
l’atelier dans lequel on
broyait l’amiante brut. Il a
fallu se battre, il y a trois ans,
pour obtenir que soient colmatées
les brèches de ce
mur , restées béantes pendant
des années ! »
Elle réclame une déconstruction
rapide de l’usine,
dans le respect des normes
de sécurité et demande que
« les enfants puissent être
transférés dans une autre
école pendant les travaux,
afin de ne pas prendre le
moindre risque. »
Alain Bobbio intervient à
son tour pour l’Addeva 93 et
l’Andeva : « Il est insupportable
de voir des dizaines de
personnes mourir ou tomber
malades, parce qu’une poignée
d’industriels a fait passer
le profit de quelques uns
avant la santé de tous.
Beaucoup de victimes sont
encore inconnues. Il faut les
rechercher et les informer
qu’elles ont des droits.
Il est techniquement possible
de désamianter sans polluer.
Il faut le faire sans délai.
Il n’existe pas de permis
de tuer dans ce pays. Les
responsables de cette catastrophe
doivent être jugés ».
Le cortège reprend sa
marche. Une petite fille porte
un écriteau avec ces simples
mots : « je ne veux pas d’amiante
à côté de mon
école ». Arrivée à quelques
mètres de l’usine, la manifestation
s’immobilise. Gérard
Voide fait l’appel des victimes
: « Pierre, 49 ans, mort
de l’amiante en 1996 d’un
mésothéliome. Habitait à 80
mètres du CMMP. Il allait à
l’école du Bourg. » Une personne se détache de la foule,
accroche le visage et le prénom
sur les grilles de l’usine,
puis une rose rouge qui rend
hommage à sa mémoire.
Visages tristes et
roses rouges sur
les grilles de l’usine
« Reine, morte en 1995
d’un mésothéliome. Elle habitait
à 300 mètres de l’usine.
Elle allait à l’école du
Bourg … Edmond, mort d’un
cancer broncho-pulmonaire
en 2001. Il habitait à 170
mètres. »… Ginette, Denise,
mortes de l’amiante, Roger,
Charles, Mauricette, Jean,
Mohamed, Yves, Jean... La
liste semble interminable.
Les manifestants frissonnent.
Leurs yeux s’embuent. Peu à
peu les grilles de l’usine se
couvrent de visages tristes et
de fleurs rouges. Derrière
chaque prénom, il y a une vie
brisée, par l’amiante…
Puis viennent les témoignages,
précis, poignants,
accablants. Très émue, Madame
Claudine Kovalez explique
que sa famille habitait
dans l’usine. Elle y jouait
avec sa sœur et ses frères.
Ils étaient cinq enfants. Quatre
ont été contaminés. L’un
d’eux est mort en 2003.
Monsieur Stanislas Dobroniak
lance un appel à tous
ceux qui, comme lui, ont travaillé
au CMMP, pour qu’ils
se fassent connaître.
Monsieur Mezzoughi était
de ceux-là. L’amiante a décimé
sa famille. Son père est
mort le premier d’un cancer à
59 ans. Lui a des plaques
pleurales.
Maurice Passat, à peine
sorti d’une opération, est
venu témoigner. Atteint d’une
asbestose, il porte sur sa
poitrine la photo du camion
avec lequel il transportait les
sacs d’amiante. « Quand il y
avait du vent, je voyais dans
mon rétroviseur des paillettes
d’amiante qui s’envolaient
tout au long du parcours.
Jamais je n’ai vu un masque.
Pour se protéger les ouvriers
s’attachaient un mouchoir
autour du cou et le laissaient
pendre sur le nez. »
« C’est difficile et douloureux
de témoigner. Mais c’est
important », dit Henri Boumandil,
de l’Addeva 93, qui
tend le micro à un autre témoin.
Monsieur Paillarse
habite près de l’usine depuis
50 ans. Il évoque la poussière
qui recouvrait les tombes
du cimetière et les salades
du maraîcher voisin. Il
parle du broyeur de 50 tonnes
dont les vibrations ont
fissuré les murs de son pavillon.
« A cette époque le mot :
« amiante » n’évoquait rien
pour nous ».
Daniel Morize raconte
comment la direction donnait
du lait aux ouvriers qui travaillaient
dans des nuages
de poussière d’amiante. Il
paraît que c’était un contrepoison…
Son père est mort
de l’amiante. Ses deux frères
et sa sœur sont contaminés.
Vient le moment de se
séparer. « Cette manifestation
n’est pas une fin, explique
Alain Bobbio . C’est le
début d’un combat qui peut
être long. Il faudra encore
nous mobiliser » Gérard
Voide remercie les personnes
présentes ; il appelle à la
vigilance et à la mobilisation.
Un message de soutien
d’Hervé Brami, le président
du Conseil général de Seine-
Saint-Denis est arrivé, un
autre de François Desriaux,
président de l’Andeva. Libération,
le Parisien, le Canard
Enchaîné, le Journal du Dimanche,
RTL, TF1, France 3
ont couvert l’événement.
Les associations se reverront
pour tirer le bilan. Des
réunions s’annoncent avec le
sous-préfet et la cellule interrégionale
d’épidémiologie
(CIRE). Le combat continue.
Un fax du préfet
aux associations
Dans un fax envoyé la
veille de la manifestation,
le préfet annonce que la
direction du CMMP
« pourrait être, dans les
prochains jours, mis en
demeure de démolir le
bâtiment B avant la prochaine
rentrée scolaire du
2 septembre 2005. Dans
l’hypothèse où il n’y satisferait
pas, une procédure
de consignation des sommes
susceptibles d’être
engagées pour la réalisation
des travaux de démolition
sera opposée au
CMMP. Enfin une exécution
d’office des travaux
sera envisagée en cas de
défaillance du CMMP ».
Les choses commencent
à bouger...
Articles parus dans le Bulletin de l’Andeva N° 16 (avril 2005)