CANCERS DE L’AMIANTE : ÉCRIRE L’AVENIR
Médecins et malades débattent et proposent
VICTIMES ET VEUVES DE L’AMIANTE :
LA FORCE DES TÉMOIGNAGES
Daniel MARGERIE (Addeva 93) : la vie avec un mésothéliome
Eric JONCKHEERE (Abeva, Belgique) : une famille décimée par l’amiante d’Eternit
Linda LOMPRET (Haute Garonne) : "j’ai 42 ans. Je suis veuve de l’amiante depuis 6 ans"
Giuseppe MANFREDI (AFeVA, Italie) : "je suis né à Casale Monferrato il y a 66 ans"
Daniel MARGERIE (Addeva 93) :
la vie avec un mésothéliome
« J’ai été diagnostiqué « mésothéliome pleural » en 2012, cela fait plus de 3 ans que je traîne cette maladie et j’espère bien que cela va trainer encore longtemps... »
Daniel dit son amour pour sa femme qui l’aide à supporter ce qui leur arrive : « Chaque jour qui passe est un jour gagné sur la maladie ».
Il vit dans l’urgence depuis l’annonce du diagnostic : « je vais bientôt mourir et j’ai plein de choses importantes à faire.... Chaque projet est un pari à gagner, un pari pour la vie. »
Il dit sa colère contre « les maffieux qui m’ont rendu malade pour du profit. Cette froide colère ne me quitte pas. Je crois qu’elle est indispensable à ma survie. »
Il poursuit : « Je sais que je suis bien soigné et pourtant j’ai le sentiment qu’il faudrait en faire plus. Je voudrais en savoir autant qu’un médecin sur ma maladie. Cela m’aiderait à mieux la vivre, à comprendre ce qui m’arrive. Je désire être actif, adhérer à mon traitement plutôt que le subir. »
Daniel a été volontaire pour un essai clinique en immunothérapie. « A l’IGR mes relations avec le médecin investigateur et son infirmière ont été excellentes. Mais quand j’ai demandé à rencontrer d’autres volontaires qui le souhaiteraient, pour échanger sur notre vécu et nous soutenir mutuellement, ça n’a pas été possible. »
Quand il a quitté l’essai pour éviter une péritonite due aux effets secondaires, le contact s’est rompu : « Plus d’un an a passé. Je n’ai reçu qu’un appel téléphonique... Je n’ai aucune nouvelle des résultats de l’essai clinique. Cela me donne l’impression d’être un rat qu’on sort de sa cage, et qu’on y remet. »
Il cite un poème de Genêt : « Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour. Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes. » Sa voix s’étrangle un moment....
Il termine en exprimant l’espoir que son témoignage aidera à une meilleure approche du vécu et des souhaits des malades qui ont un mésothéliome pleural.
Eric JONCKHEERE (Abeva, Belgique) :
une famille décimée par l’amiante d’Eternit
« Les fins de vie, je les connais, la surdité des chefs de service ? C’est du vécu. Le choix des soins thérapeutiques ou palliatifs, hélas aussi », dit Eric Jonckheere. L’amiante d’Eternit lui a volé quatre êtres chers, tous morts d’un mésothéliome.
Pierre, son père était ingénieur chez Eternit. « Il ne pouvait imaginer que la famille Emsens lui ait à ce point menti sur la dangerosité de l’amiante. »
Françoise, sa mère, fut atteinte par ce cancer, alors qu’elle n’avait jamais travaillé à l’usine. Elle a refusé tout acharnement thérapeutique : « Je veux des soins palliatifs de premier choix afin de garder ma tête au clair pour dénoncer les agissements de ces industriels criminels » et préparer ses petits-enfants à leur séparation.
Eric rend hommage à son courage : « La multinationale lui proposa 42000 euros contre son silence et l’abandon de toute poursuite. Faisant face à ses bourreaux, elle refusa de se faire bâillonner et fonda l’Abeva et initia le premier procès de l’amiante en Belgique. »
Deux frères d’Eric, furent à leur tour frappés. Face au cancer, ils assumèrent leurs choix thérapeutiques : Pierre-Paul choisit l’immunothérapie, Stéphane la chirurgie. « Son épouse et lui forcèrent les équipes médicales à se parler. Grâce à leur entêtement ils obtinrent que le malade soit entendu et écouté. Les médecines parallèles firent leur entrée à hôpital. Un vocabulaire accessible remplaça le charabia médical... »
Eric dénonce le mensonge des industriels et la faillite de l’Etat. Il plaide pour la création de centres experts sur le mésothéliome et pour faire de la recherche sur cette maladie une priorité.
Eric a de l’amiante dans les poumons. Il a dû apprendre « la danse sous une épée de Damoclès ». Bien que durement frappée, sa famille n’est pas rongée par une soif destructrice de vengeance.
« Je vous rassure. Je reste profondément optimiste et gourmand de la vie. »
Linda LOMPRET (Haute Garonne) :
"j’ai 42 ans. Je suis veuve de l’amiante depuis 6 ans"
« Mon mari était originaire du Nord. Il habitait à côté d’une usine Eternit. A 44 ans, on lui a détecté un mésothéliome pleural. Il n’a jamais travaillé dans l’amiante. »
« Lors de l’annonce du diagnostic, j’étais enceinte de six mois. J’avais avec moi notre fille ainée, âgée de trois ans. Les médecins n’ont pas voulu que j’assiste à la consultation. Elle a duré trois quarts d’heures. Mon mari est sorti, complètement perdu, le regard dans le vide… Il m’a dit : « Il va falloir que tu sois très courageuse. J’ai un cancer dû à l’amiante ».
Je suis allée voir le pneumologue. J’ai demandé : « C’est grave ? ». Il m’a dit : « Oui ». J’ai demandé ce qu’il fallait faire. On m’a répondu : « Vous avez des ordonnances ». Et on nous a laissés repartir comme cela, tous les trois.
Par la suite, la prise en charge par les médecins du service a été satisfaisante.
« Mon mari s’est battu brillamment contre sa maladie. Il ne s’est jamais plaint. J’ai toujours été là pour le soutenir. Il a fallu tout gérer : l’école de la grande, la chimiothérapie de mon mari, la naissance de ma deuxième fille… On ne se pose pas de question. On va au front. On n’a pas le choix. J’ai fait front pendant quatre ans et demi.
La fin de vie a été très difficile. Aux urgences, mon mari a été laissé des heures à l’abandon. Quelqu’un a osé lui dire : « Monsieur, on va vous transférer dans une maison de fin de vie ». J’ai obtenu qu’il reste dans son service. Mais il a lâché prise. Il s’est éteint cinq jours après.
Pour moi, écrire l’avenir, ce serait d’abord respecter la mesure 40 du plan cancer sur le dispositif d’annonce. Je voudrais aussi que le corps médical informe les patients et les familles de l’existence et du rôle des associations. Je remercie l’Andeva qui m’a beaucoup aidée. Et je souhaite beaucoup de courage à ceux qui sont malades et à leurs familles. Il ne faut pas baisser les bras, jamais. »
Giuseppe MANFREDI (AFeVA, Italie) : "je suis né à Casale Monferrato il y a 66 ans"
« J’ai toujours vécu dans cette ville et j’y habite encore. J’ai travaillé 40 ans chez DNL, l’équivalent italien d’Air France. Je suis à la retraite depuis 10 ans.
En 2013, après une vie dédiée au sport, je me suis brusquement retrouvé avec un mésothéliome pleural.
Heureusement – si l’on peut dire – les médecins qui me soignent sont excellents. A Casale, depuis 2010 existe une structure sanitaire dédiée aux soins et à l’accompagnement des victimes de pathologies liées à l’amiante. Elle est composée de médecins (dont Federica Grosso et Daniela Degiovanni, ici présentes), d’infirmières et de psychologues spécialisés dans cette maladie..
Les malades y sont accueillis et accompagnés tout au long de leur parcours de soins. Cette structure leur fournit les meilleurs traitements, y compris de type expérimental. Elle garantit la présence d’un personnel spécialisé à qui il peut s’adresser en cas de besoin, à toute heure du jour, à toute période de l’année, qu’il soit à l’hôpital ou à la maison.
J’assure la présidence de notre association depuis 2015. J’ai l’honneur de succéder dans cette responsabilité à une femme héroïque : Romana Blasotti Pavesi.
Le vice-président, Giovanni Cappa, est lui aussi victime de l’amiante, atteint comme moi d’un mésothéliome. Il est présent avec Bruno Pesce, l’un des co-fondateurs historiques de l’AFeVA.
L’AFeVA a les mêmes buts que l’ANDEVA : la justice, la recherche, la dépollution. La route est semée d’embûches. J’espère que nous pourrons faire encore un grand bout de chemin ensemble, jusqu’à ce que nous puissions venir à bout de la maladie et faire triompher la Justice partout. Je suis sûr que nous y parviendrons. »
Articles tirés du Bulletin de l’Andeva No 51 (mai 2016)
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