Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Amiante : 100.000 morts prévisibles
Quelles leçons pour l’avenir ?

10 avril 2007

Dix ans après la création de l’Andeva

9 décembre 2006 : 250 personnes sont réunies dans une salle de conférence pour le dixième anniversaire de l’Andeva. Beaucoup d’associations sont présentes.

François Desriaux retrace les combats menés depuis sa création en 1996.
Une première table ronde sur la prévention réunit Paul Röder, expert indépendant, Guy Jean, responsable d’une société de désamiantage, Philippe Sotty, ingénieur de prévention à la Direction régionale du travail Paca, Marie-José Voisin et Alain Bobbio, membres du bureau de l’Andeva.
Une seconde table ronde porte sur le bilan de l’affaire de l’amiante. On trouvera ici de larges extraits de ce second débat.

Puis Michel Parigot évoque les prochains combats à venir. Après quoi les participants se retrouvent autour d’un buffet et d’un pot fraternel.


Des clés pour un débat

Le 9 décembre 2006, pour les dix ans de l’Andeva, était organisée une table ronde présidée par François Desriaux, avec Claude Got, William Dab, Marie-Angèle Hermitte, Elisabeth Fortis et Pierre Pluta.

Claude Got ouvre le débat. Anatomopathologiste, militant de la sécurité routière, auteur de rapports sur l’amiante et le tabac, il pose une question incontournable : comment passer de l’expertise en santé publique à la décision ? Il y a souvent un gouffre entre ce que l’on sait, et ce que l’on fait.

Le risque amiante était connu de longue date. L’expertise Inserm a ébranlé la machine politique et conduit à la décision d’interdiction. Mais elle ne la proposait pas. Les experts ne voulaient pas être des conseillers.

Prendre une décision ne suffit pas. Il faut suivre sa mise en œuvre.
Il serait techniquement possible de faire une gestion nationale des diagnostics amiante accessible à tous. Les outils existent. Le cadastre est informatisé. Mais cette proposition n’a jamais été reprise. On a vu les photos du CHU de Caen. Kouchner l’avait visité en 1997. Pourquoi n’a-t-on rien fait ?

William Dab, ancien directeur général de la Santé, considère que deux associations ont permis à la santé publique d’exister en France : Aides et l’Andeva. Leur volonté d’articuler sciences, médecine, droit et action associative a permis leur succès. Grâce à elles, les victimes de l’amiante et du sida sont sorties de l’invisibilité et la question des responsabilités en santé publique a été posée.

Il a fait le choix personnel d’entrer dans le système pour tenter de le réformer, mais il rend hommage à l’efficacité de la voie associative.
Selon la doctrine ministérielle, la responsabilité du risque incombe à l’employeur et non à l’État. Mais l’arrêt du Conseil d’État du 3 mars 2004, qui pointe sa responsabilité dans l’affaire de l’amiante, a provoqué l’effondrement de ce dogme.

Pour passer de la décision à l’action de santé publique, il faut disposer d’outils institutionnels. Or le ministère de la Santé était historiquement faible en France. Il a fallu créer une sous-direction santé-environnement, élargir les missions de l’Affsset, élaborer un plan de santé environnementale incluant le travail.

Le passage à la décision peut se heurter à des problèmes de coût.
En réponse à une question, il indique qu’il n’est pas favorable à l’interdiction des fibres céramiques : elles sont nécessaires dans de nombreux secteurs et l’on ne sait par quoi les remplacer. Il préfère gérer un risque connu, avec un dispositif de suivi des niveaux d’exposition et de l’application des textes. Une interdiction n’aboutirait selon lui qu’à un transfert du risque.

Gérard Lasfargue,
directeur du département Santé-Travail à l’Affsset explique qu’il travaille sur la substitution des produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Il souhaite une expertise compétente, transparente et indépendante, et pense qu’il faut distinguer évaluation et gestion des risques.

Michel Lalanne, de Bordeaux, ne souhaite pas que le drame de l’amiante se répète avec les fibres céramiques et défend l’interdiction.

Marie Angèle Hermitte a été frappée par l’ineffectivité des textes sur l’amiante. Le problème n’est pas seulement de faire une réglementation. Il faut se donner les moyens de la faire appliquer. Un décret de 1893 impose aux employeurs de veiller à ce que l’air des ateliers ne soit pas empoussiéré. Pourquoi n’a-t-il pas été appliqué ?

La menace financière est un bon moyen de rendre le droit effectif. Les sanctions financières contre ceux qui bafouent la réglementation amiante sont ridiculement faibles, comparées aux sanctions prévues dans le droit de la concurrence et du commerce : un employeur qui expose ses salariés à l’amiante ne paiera qu’une amende de 2000 euros, alors que le Conseil de la concurrence peut taxer une société à hauteur de 10% de son chiffre d’affaire ! Les amendes doivent être dissuasives. Si la mise aux normes est plus chère que la sanction, les employeurs préféreront payer l’amende.

Elisabeth Fortis explique que le droit pénal est à l’origine un droit des personnes physiques. Le niveau des sanctions financières est lié à la surface financière d’une personne physique. Or en 1992-1994 on a introduit la responsabilité pénale des entreprises. Et le calcul des sanctions a été revu à la hausse par un quintuplement des montants. Ainsi le tribunal de Lille a condamné la société Alstom à payer 75.000 euros (15.000 euros multipliés par 5). C’était la sanction maximum que les juges pouvaient proposer.

Quand il s’agit du droit du travail, une grande partie du code pénal n’est pas appliquée. Le non respect de la loi par les employeurs est vu comme une question marginale par les pénalistes, préoccupés par les crimes de sang et les atteintes aux biens des personnes. L’éducation du milieu judiciaire reste à faire. Les magistrats devraient considérer l’entreprise comme un milieu criminogène.

Il n’y a que 2000 inspecteurs du travail. C’est très insuffisant. Il suffit de comparer leur nombre avec celui des contrôleurs des impôts pour voir où sont les priorités. Il y a à la fois une ineffectivité des textes, une absence de moyens et une absence de volonté de poursuivre.
En matière de droit pénal le délai qui sépare la faute du jugement est habituellement assez bref. Dans le cas de l’amiante, le délai de latence entre l’exposition et la maladie est très long. La question du temps est donc posée.

Deux réformes ont brouillé les repères. En 1994, une série de modifications du Code pénal ont rendu la loi plus sévère pour les personnes physiques, mais non applicable aux faits anciens. En 2000 la loi Fauchon a rendu la loi moins sévère pour les personnes physiques et les poursuites contre elles plus difficiles. Cette loi est applicable à tous les faits et rétroactive. Prévue à l’origine pour les décideurs publics, elle est appliquée dans le droit pénal du travail.

Jean-Paul Teissonnière dit que dans le jugement d’Alstom Power à Lille, l’essentiel est la réponse positive du tribunal à la constitution de partie civile des victimes et la prise en compte du délit de mise en danger d’autrui.

La mise en danger d’autrui apporte un début de réponse au problème posé par le décalage temporel entre contamination et maladie : il n’est pas nécessaire d’attendre que le dommage intervienne pour le sanctionner. Il s’agit ici de personnes exposées et non de victimes.
Cela dit, il est plus pessimiste que Marie-Angèle Hermitte en ce qui concerne la sanction financière. La jurisprudence de la cour de cassation abolit la responsabilité financière de l’employeur en cas de non respect du caractère contradictoire de la procédure d’instruction du dossier par la caisse primaire. Il en résulte une mutualisation des risques et une coupure du lien entre réparation et prévention.

Ainsi la faute inexcusable d’Eternit est régulièrement reconnue par les tribunaux, mais ses avocats s’appuient sur des erreurs de procédure de la caisse pour faire admettre par les juges que cette faute n’est pas opposable à Eternit. Une société qui a contaminé des milliers de salariés peut ainsi être remboursée par la sécurité sociale et gagner des millions d’euros.

Bernard Balestri rappelle que l’Alstom Saint-Ouen a déjà été condamné pour mise en danger d’autrui en 2000.

Pierre Pluta
dit qu’en regardant une victime de l’amiante on ne s’aperçoit pas forcément de sa maladie. Pourtant elle peut être angoissée par l’annonce du décès de ses collègues, sentir les effets du vieillissement s’ajoutant à ceux de la maladie. Elle doit vivre en sachant que sa maladie réduit son espérance de vie et qu’elle est évolutive.

Ceux qui disent que les plaques pleurales ne sont pas une maladie n’ont rien compris. Dans une association, il n’est pas rare qu’on accueille d’abord une victime avec une maladie dite « bénigne » et qu’on la voie revenir, quelques temps, après avec une maladie plus grave.

Les victimes de l’amiante se heurtent à toutes sortes de difficultés au quotidien : dans les hôpitaux pour subir une intervention avec anesthésie, dans leur travail pour leur carrière professionnelle, dans leur vie sociale quand on refuse qu’elles donnent leur sang…

Ces discriminations sont des préjudices. Il faut les prendre en compte, pour respecter leur dignité et renforcer la prévention. Sans sanction financière des employeurs la prévention n’avancera pas.

Toutes les leçons de l’affaire de l’amiante n’ont pas été tirées. Va-t-on recommencer avec les fibres céramiques et les éthers de glycol ?
Peut-on accepter que des multinationales comme Eternit ou Saint-Gobain empoisonnent encore des gens au-delà de nos frontières ?

L’indemnisation devrait être rapide, intégrale et équitable.

Elle n’est pas rapide, car le Fiva, n’a pas les moyens de respecter les délais.

Elle n’est pas équitable, car il y a des disparités énormes entre tribunaux qui reconnaissent la faute inexcusable de l’employeur.
Peut-on accepter que pour deux salariés qui ont fait le même travail pour le même employeur et touchés par la même maladie, avec le même taux d’incapacité et les mêmes souffrances, les montants d’indemnisation varient de 1 à 15 ? Comment la Justice peut-elle accorder 45.000 euros à l’un et 3.000 euros à l’autre ? C’est inacceptable.

On nous a empoisonnés et l’on voudrait aujourd’hui nous présenter comme de faux malades, des profiteurs, des simulateurs… On nie nos souffrances en nous expliquant que les plaques pleurales ne sont pas vraiment une maladie.

L’indemnisation des maladies professionnelles par la sécurité sociale est forfaitaire ; avec un taux d’IPP de 20% on touche une rente de 10%. Comme si les torts étaient partagés... Comme si nous avions « sniffé » volontairement de l’amiante…

Chaque fois que possible nous allons au tribunal car il est très important de faire reconnaître la responsabilité des employeurs, même si les procédures sont longues.

Le Fiva permet d’indemniser des victimes environnementales, des épouses contaminées en lavant les bleus de leur mari, des artisans qui n’avaient droit à rien. C’est un acquis, même si le barème Fiva n’est pas le nôtre, même si les indemnisations ne sont pas au niveau des tribunaux. Depuis sa création il a traité 31.000 dossiers, et versé un milliard d’euros aux victimes et aux ayants droit qui ont déposé un dossier.

Être indemnisé ce n’est pas un privilège, c’est un droit. Faire condamner les responsable, c’est la Justice.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva N°22 (avril 2007)