Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Un polar à l’heure de l’amiante

11 septembre 2013

Rencontre avec Anne Rambach

Scénariste, auteur d’enquêtes passionnantes (Les intellos précaires - Fayard, 2001 et Les Nouveaux Intellos précaires, Stock, 2009, À vous de
jouer ! Enquête tragi-comique sur les jeux-concours, Fayard, 2006) Anne Rambach est l’auteure de Ravages, un thriller au suspense haletant, sur fond d’amiante à Condé-sur-Noireau. Entretien avec Léa Veinberg.

Comment vous êtes vous intéressée à la problématique de
l’amiante ?

Il y a trois ans, j’étais rue de Sèvres, j’ai vu passer la manifestation des victimes de l’amiante. C’était le moment où le gouvernement envisageait de faire disparaître les juges d’instruction. J’ai lu le tract que l’on me tendait et j’ai commencé à discuter avec les gens. J’ai trouvé le sujet passionnant. J’ai longtemps été engagée dans la lutte contre le sida et je pense que d’un point de vue général les questions sanitaires et environnementales sont d’un intérêt capital. Et comme je cherchais un nouveau sujet pour mon prochain thriller, j’ai commencé à me documenter.

Cette phase de documentation a-t-elle été longue ?

Je pensais travailler sur la documentation une année, mais plus j’avançais plus j’hallucinais sur l’ampleur, la durée et le dispositif de cet empoisonnement. J’ai passé plus de trois ou quatre ans sur ce livre. Je ne suis pas adepte de la théorie du complot, mais ici, étant donné le nombre de personnes impliquées et l’ampleur du phénomène, comment ne pas avoir le sentiment qu’il s’agit d’un complot. Au début, l’idée était de raconter une histoire à suspense dont l’amiante ne serait que la toile de fond, mais peu à peu, ce que je découvrais était tellement passionnant, que l’amiante prenait plus de place dans mon thriller.

Qu’est-ce qui a été le plus surprenant pour vous ?

La découverte de Condé-sur-Noireau. Les entreprises présentes sur place étaient internationales et même si les normes en vigueur en France étaient permissives, les dirigeants ne pouvaient ignorer la dangerosité du produit. Cette ville est à trois heures de route de Paris et qui sait, encore aujourd’hui, qu’il y a autant de victimes de l’amiante là-bas ? On a tous vu des films américains sur des sujets semblables, en trouvant ça horrible. Là, c’est juste à coté de chez nous et cela a duré pendant des décennies. Pratiquement 90 ans de résistance à la vérité.

L’autre chose qui m’a beaucoup choquée c’est de réaliser que des lobbyistes de l’amiante vivaient aujourd’hui de métier de conseil ! Enfin, que penser des médecins cyniques qui prescrivaient à leurs patients des radios alors que les maladies de l’amiante ne sont détectées qu’au scanner ! J’ai été terriblement troublée par ces gens. Comment imaginer qu’un « monsieur tout le monde » soit capable d’une telle chose. C’est pour cette raison que j’ai donné une place importante au médecin dans mon roman. Un personnage lambda, sans conscience, qui pourrait être mon voisin est plus passionnant à analyser qu’un psychopathe dans un thriller !

Pensez-vous que l’on a du mal à faire parler de l’amiante parce que c’est une maladie qui touche en majorité des ouvriers ?


C’est effectivement sans doute pour cette raison que les médias en ont si peu parlé. J’ai le sentiment que d’une manière générale on néglige beaucoup le fait que les ouvriers travaillent dans des conditions plus dangereuses que les autres salariés. Il y a un problème de réflexion générale dans nos sociétés sur ce que vaut une vie et comment on définit les priorités. Les médias parlent plus volontiers de ce qui est spectaculaire, des accidents, de la sécurité. La société est presque devenue indifférente à la sécurité au travail au profit des faits divers.

Cela m’a d’autant plus touchée que j’ai été très impliquée dans la lutte contre le sida dans les années 90. C’est l’époque à laquelle on a commencé à reparler de l’amiante et de son interdiction. À l’époque bien que je me sois beaucoup documentée sur l’actualité, je suis passée à coté de cette question. Je me dis aujourd’hui qu’il y aurait pu avoir une lutte commune. Surtout que nous utilisions des techniques de communication venant des États-Unis pour aborder les pouvoirs publics et de s’imposer aux médias. Mais nous étions dans deux mondes qui se méconnaissent totalement.

Il y a des éléments communs entre le Sida et l’amiante ?

Il n’y a pas de similitude entre le rôle des industries pharmaceutiques dans l’affaire du sida et des industriels dans le cas de l’amiante, mais, en revanche, l’incapacité des politiques et des pouvoir publics à réagir rapidement et de manière lucide, en faisant abstraction des intérêts industriels pour se focaliser sur les intérêts des malades, est très semblable. On peut peut-être également comparer l’attitude des médecins qu’il a fallu forcer à appréhender autrement leur façon de soigner les malades.

Êtes-vous optimiste ?

Pas vraiment, le fait que l’on ait dessaisi la juge Bertella-Geffroy du dossier amiante est passé presque inaperçu ! Très peu de médias ont expliqué les implications de cette décision et les enjeux du procès.
D’année en année, la perspective d’un procès est repoussée, mais il restait l’espoir de cette juge qui suivait ce dossier depuis le début. Aujourd’hui la certitude de voir un jour ce procès s’amenuise. Pourtant, ce serait un signal terrible envers les industriels. S’il n’y avait jamais de procès, ce serait leur donner le feu vert pour, en toute impunité, pouvoir faire, à l’avenir, travailler leurs salariés, avec des produits dangereux   ! Ce serait un échec gigantesque pour la démocratie.


Après la mort mystérieuse d’un ami journaliste, Diane Hartman reprend l’enquête à Condé-sur-Noireau

A-t-il mis fin à ses jours ? A-t-il
été « suicidé » parce qu’il en savait trop ? Diane Hartman se rend à Condé pour trouver des réponses à ces questions. Elle rencontre, Bastien Neveu, un vieil ouvrier de Ferodo.

« Ils avaient notre santé entre leurs mains »

« Bastien, sur quoi portaient vos entretiens avec Dominique ? »
« Oh, il a trouvé mon nom sur le site de l’Andeva, l’association des victimes de l’amiante. On a beaucoup parlé de Ferodo. De la manière dont on travaillait dans ces usines (...) Il m’a posé des questions sur les anciens directeurs de l’usine, mais surtout sur les médecins. ça, ça le passionnait. »
Elsa et Diane étaient toute ouïe.
« Pourquoi ? relança Elsa. »
« Un médecin, c’est quoi ? répondit l’ancien ouvrier. C’est quelqu’un qui vous soigne, qui vous protège. Et les médecins du travail ? Ils avaient notre santé dans leurs mains. Faut se rendre compte ! Il y avait des médecins dans les usines, ils nous suivaient. Pendant des années et des années, ils nous ont envoyés au massacre et ils n’ont rien
dit ! Ils ne nous ont pas protégés, ni même soignés. Pire, ils nous ont menti ! Ils nous ont dit que l’amiante n’était pas dangereux. Ils nous ont dit qu’on fumait trop, qu’on buvait trop, que c’était pour ça qu’on tombait malades. Combien je connais de gars qui sont morts, jeunes, dans les années soixante, soixante-dix, même quatre-vingt, et on incriminait tout, sauf l’amiante ! On disait qu’ils étaient faibles des poumons ! Maintenant, je sais de quoi ils sont morts. Mais, eux, les toubibs, ils nous ont poussés vers la tombe, sans desserrer les dents.
Le secret médical avait un autre sens pour eux. Nous ne devions même pas savoir de quoi nous mourions ? »

« Vous avez des poumons de jeune fille »

En 2003, l’épouse de Bastien a su qu’elle était malade de l’amiante. Pourtant dès 1989 les premiers signes de la maladie étaient visibles sur les comptes-rendus...

« Tous les ans, le médecin lui mettait la main sur l’épaule en la raccompagnant : « Ne vous inquiétez pas, madame Neveu, vous avez des poumons de jeune fille ». Et pourtant il savait déjà qu’elle était touchée. Vous vous rendez compte... « des poumons de jeune fille ».
Comment il pouvait dormir cet homme-là ? »


Fiction et Réalité

« Ce roman est une fiction. Les personnages principaux sont sans rapport avec des personnes existantes. L’intrigue est une pure invention, écrit Anne Rambach dans un préambule. En revanche, les faits qui concernent l’histoire de l’amiante en France ont été rapportés avec soin dans le récit ».
Waldrawane, la juge qui instruit le dossier de l’amiante dans le roman, « ne ressemble en aucune manière » à Marie-Odile Bertella-Geffroy. « En aucune manière » sinon par l’intégrité et le courage ».


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°43 (septembre 2013)