Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

Vous êtes ici : Accueil » L’ANDEVA » Le Bulletin de l’Andeva » Numéro 16 (avril 2005)

PAROLES DE VICTIMES
Jocelyne, Cyrille, Janine, Coralie, Aurélia témoignent

23 février 2007

Elles ont eu la satisfaction de voir un tribunal reconnaître la faute inexcusable de l’employeur et indemniser leurs préjudices. Mais rien ne remplacera la perte d’un époux ou d’un père.

Dans le bulletin N° 14 une double page évoquait les
conditions de travail des projeteurs d’amiante chez
Wanner Isofi. L’article parlait de Daniel et Christian,
deux frères, morts de l’amiante. Leurs veuves ont voulu
apporter leur témoignage sur les moments douloureux
qu’elles et leurs filles ont vécu, mais aussi sur le combat
judiciaire qu’elles ont eu le courage de mener.

J’avais quarante-trois ans

« J’avais 43 ans quand
Daniel est décédé,
explique
Jocelyne. « Les moments les
plus durs furent les derniers
mois avant son hospitalisation
 : aller travailler en le laissant
assis sur une chaise où
il venait de passer la nuit, le
téléphone devant lui avec
mon numéro au bureau. Un
jour on m’a appris que le
SAMU l’avait transporté à
l’hôpital de Créteil. Pour lui
rendre visite, j’avais 32 stations
de métro avant d’arriver...
Le mois de décembre
1988 restera dans ma mémoire
toute ma vie. La dernière
semaine les médecins
l’avaient endormi. Il n’y avait
plus rien à faire qu’à attendre
qu’on me dise : « votre mari
est mort. »

Et puis il y eut l’absence :
savoir qu’il ne sera plus jamais
là. Imaginer encore
l’entendre frapper. Subir la
solitude, le chagrin, et voir la
tristesse de sa fille, qui n’admet
pas l’injustice de perdre
son père à 16 ans.

Janine, sa belle-sœur,
avait 49 ans lorsque Christian
est mort. Coralie et Aurérila,
ses filles, avaient 25 et
22 ans. Elle évoque la période
de sa maladie, qu’elle a
ressenti comme une longue
déchéance physique, morale
et mentale, les soins longs,
pénibles et douloureux et
l’issue fatale. « II se savait
condamné, mais gardait tout
de même un petit espoir ».

« Comment s’en sortir
après avoir vécu tout cela,
avec lui qui n’est plus là, qui
ne sera plus jamais là ? La
solitude, le désespoir, vivre
sans lui. Il faut se redresser,
vivre dans son souvenir, toutes
les trois, s’aider mutuellement,
même si cela ne sera
plus jamais pareil. Et puis le
temps passe. On pense toujours
à lui. Pourquoi est-il
mort si jeune ? S’il n’y avait
pas eu l’amiante, il serait en
vie et en bonne santé et nous
serions toujours une famille
unie et heureuse

Se battre pour que tout le monde sache

Alors vient le moment de
se battre pour le venger, pour
nous sentir mieux, pour que
le monde sache comment
l’amiante peut détruire une
famille. ».

Cyrille, la fille de Jocelyne
et de Daniel avait 16 ans
lorsqu’elle a perdu son père.
« Le plus dur, explique-t-elle,
c’est d’accepter. Il faut surmonter
ses angoisses, sa
peur, sa tristesse. Se forcer à
penser à autre chose. Faire
des projections sur l’avenir.
Et tout doucement, jour après
jour, on se rend compte que
la vie devient moins dure.
Parfois elle peut être belle. Il
faut reprendre le dessus. Il
faut se battre, pour lui, pour
nous, pour qu’il soit fier de
nous ».

Pour Janine, la décision
d’engager une action en
faute inexcusable de l’employeur
ne fut pas facile à
prendre. « Il fallait remuer
tout cela de nouveau... »

Pour Jocelyne aussi ce fut
difficile. « On avait mis de
côté beaucoup de choses.
C’était dur de les faire ressortir
au moment où l’on commençait
à aller mieux. Mon
mari s’était battu pour faire
reconnaître sa maladie professionnelle.
J’ai reçu un
coup de fil de la Sécurité
sociale m’annonçant qu’il
était reconnu un quart
d’heure après le coup de fil
de l’hôpital m’annonçant qu’il
venait de mourir. Ce souvenir
restera gravé en moi pour la
vie ».

Je n’avais jamais mis les pied dans un tribunal

Et pourtant elles ont décidé
toutes les deux d’engager
une action judiciaire. « Daniel
et Christian étaient deux bagarreurs
qui refusaient l’injustice
 »
explique Jocelyne.
« Mon mari aurait voulu
qu’on le fasse, dit Janine.
J’en ai discuté avec mes
filles. Et puis on a pris la décision
 ».

Aller en justice, c’est d’abord
s’avancer sur un terrain
inconnu. « Je n’avais jamais
vu une salle d’audience, sauf
à la télé,
raconte Jocelyne.
Nous avons beaucoup
apprécié le travail des avocats.
Avant l’audience, nous
avons pu lire les conclusions
qu’avaient rédigées François
Lafforgue et Sylvie Topaloff.
C’était tout ce que nous
avions vécu. Ils avaient fait
un travail énorme. C’était
poignant. La plaidoirie de
François a ému l’auditoire.
Elle était sobre et émouvante.
Il a parlé avec des
mots simples de ces deux
frères tués par l’amiante et
des conséquences sur les
deux familles. Nous avons
pleuré en l’écoutant. »

« Notre avocat a su se
mettre à notre place, dire ce
que nous ressentions,
dit
Cyrille. Nous avons écrit une
lettre pour remercier François
et Sylvie. La plaidoirie
adverse a essayé de défendre
l’indéfendable... »

L’amitié des collègues de travail

« Les collègues de travail
connaissaient Daniel et
Christian depuis quinze ans,

dit Jocelyne. Ils n’ont pas
hésité à faire des témoignages.
Leur amitié nous a soutenues.
Ils ont tenu à venir à
l’audience. »

Le Tribunal des Affaires de
Sécurité sociale de Meaux a
condamné l’employeur. Avec
des indemnisations bien plus
élevées que d’ordinaire.
« J’étais satisfaite, mais
aussi un peu perturbée,
raconte
Janine. En fait j’étais
surtout contente pour mes
filles ».

« Ce n’est pas pour l’argent
que nous nous sommes
battues. Jusqu’à 50 ans, j’ai
toujours vécu sans en avoir
beaucoup. Nous avons obtenu
justice. La responsabilité
de l’employeur est reconnue.
Mais cela ne nous rendra
jamais ce que nous avons
perdu ».

Nous irons jusqu’au bout

« Ce procès, je l’attendais
depuis longtemps,
explique
Cyrille. Ma mère a hésité.
Pour moi une faute grave
avait été commise. Il était
normal d’aller en justice. Il
fallait leur faire payer. C’était
le seul moyen.
L’employeur fera peut-être
appel, pour gagner du
temps. Mais nous irons jusqu’au
bout. Etre indemnisé
c’est normal. Il n’y a pas à
culpabiliser.
Nous tenons à remercier
l’Addeva 93 et l’Andeva qui
nous ont conseillées, accompagnées
et soutenues jusqu’au
procès, et nous ont
permis d’être bien défendues
 »


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva (avril 2005)