Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Mésothéliome

19 avril 2013

Faut-il revoir les prévisions des épidémiologistes ?

L’étude de Stephen Goldberg (InVs) et Grégoire Rey (CépiDc, Inserm)1 remet en cause le pronostic d’une progression continue de l’incidence du mésothéliome en France jusqu’en 2025 et propose une modélisation alternative :
«  Le pic de mortalité par mésothéliome semble avoir déjà été atteint - en France - au début des années 2000, avec de 600 à 800 décès annuels chez les hommes et de 100 à 200 chez les femmes. La mortalité est en train de diminuer et, selon nos projections, se stabilisera vers 2030 au niveau où elle était à la fin des années 1970 ». Ils estiment qu’il y a déja eu « environ 25 à 36 milliers de décès par mésothéliome en France durant les 55 années précédant 2010, et qu’on pourrait en attendre de 18 à 25 milliers pour les 40 années suivantes. »
Un scénario un peu moins pessimiste que les prévisions antérieures, mais la sécheresse des chiffres confirme l’ampleur et la durabilité d’une catastrophe sanitaire majeure. Une catastrophe qui aurait pu et dû être évitée.

L’étude de Goldberg et Rey repose sur les données actuelles de mortalité et d’incidence produites par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC), l’Institut national de la Santé et de la Recherche médicale (Inserm) et le programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM).

« Un plateau semble atteint »

Elle conclut qu’en France un « plateau semble atteint 20 ans avant ce que prédisaient les études antérieures » :
On « observe depuis quelques années un phénomène comparable de ralentissement de l’augmentation, voire une diminution de l’incidence du mésothéliome dans plusieurs pays », en particulier aux USA, où l’utilisation massive de l’amiante puis les mesures réglementaires de restriction furent plus précoces qu’en France.

Des différences par classe d’âge

Si les chiffres globaux montrent une relative stabilisation de 2000 à 2009, l’analyse par classes d’âge (Graphique 3) révèle des tendances contradictoires :
- Chez les hommes de 70 à 89 ans, le taux de mortalité par mésothéliome pour un million d’habitants a connu une très forte progression
(il a été multiplié par 6 de 1955 à 2009). Cette progression a continué après 1995, passant de 150 à près de 200.
- Chez les hommes de 50 à 69 ans, ce taux a augmenté deux fois moins vite de 1955 à 2009 et il baisse depuis 1995.

Les auteurs expliquent ce décalage par l’intensité des expositions «  touchant de façon plus importante les générations qui ont effectué toute leur carrière professionnelle avant les premières mesures de restriction de l’utilisation de ce minéral  » (décret de 1977).
Ils se sont heurtés à deux difficultés : l’imprécision des données figurant sur des certificats de décès et l’absence d’indicateur national autre que les importations d’amiante pour quantifier les expositions à l’échelon national. Aussi proposent-ils une hypothèse basse et une hypothèse haute.


Quelles projections à 2050 ?

Ils prévoient une décroissance du taux de mortalité jusqu’à une stabilisation entre 2026 et 2040 au niveau des années 70.
Vu la dissémination de l’amiante dans bien des secteurs de l’économie la décrue des maladies serait plus lente que celle des importations.
Peut-on faire une modélisation fiable de l’évolution de la mortalité par mésothéliome de toute la population française pour les 40 prochaines années ? Vu le nombre de paramètres et d’inconnues, la question mérite d’être posée. Les auteurs évoquent eux-mêmes «  l’incertitude » des résultats.
Leur modèle, qui repose sur l’exposition professionnelle, sous-estime l’exposition environnementale en supposant que «  la population ne serait plus exposée à l’amiante à partir de 2009  ». Cette hypothèse «  évidemment fausse » aux dires des auteurs eux-mêmes, ignore les contaminations environnementales que ne manquera pas de générer le délittement progressif de centaines de milliers de tonnes d’amiante-ciment en place.
On regrettera que ni les politiques publiques ni les données médicales ne soient intégrées dans une évaluation prévisionnelle à 40 ans.
Une politique systématique d’éradication de l’amiante peut réduire les expositions futures. Des moyens financiers conséquents peuvent accélérer la recherche sur mésothéliome. On est en droit d’espérer que cela change les données de mortalité au cours des quatre prochaines décennies.

1) « Modélisation de l’évolution de la mortalité par mésothéliome de la plèvre en France. Projections à l’horizon 2050 », par
- Stephen Goldberg, département Santé Travail (DST), Institut de veille sanitaire (InVs)
- Grégoire Rey, Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) Institut national de la santé et de la recherche médicale
téléchargeable sur le site : http://www.invs.sante.fr
2) Nombre annuel de nouveaux cas d’une maladie en proportion d’une population donnée.


UNE ÉTUDE, DES QUESTIONS

En 1995, dans un célèbre article du Lancet, l’épidémiologiste britannique Julian Peto montrait que le nombre de nouveaux cas de mésothéliome (cancer primitif de la plèvre spécifique de l’amiante) connaissait une progression continue depuis la guerre.
Avec un décalage dû au temps de latence entre l’exposition et la maladie, cette progression ininterrompue suivait la courbe du tonnage des importations d’amiante en Grande-Bretagne trente ans plus tôt.

Julian Peto pensait qu’elle se prolongerait encore pendant plusieurs décennies en Grande-Bretagne pour atteindre un pic vers 2020.
En 1996, un rapport de l’INSERM évoquait pour la France «  une augmentation moyenne de l’incidence de 25% tous les trois ans ». Un pic était attendu vers 2025, avec 1000 à 1500 nouveaux cas par an.
L’étude publiée par Stephen Goldberg et Grégoire Rey1 au début de cette année conteste ce modèle.
Ses auteurs expliquent que le pic a déjà été atteint il y a une douzaine d’années avec 700 à 1000 cas par an
.
Ils estiment que le taux de mortalité et l’incidence2 du mésothéliome ont déjà commencé à baisser et que cette baisse se poursuivra dans les prochaines décennies. Souhaitons qu’ils aient raison.


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°42 (avril 2013)