Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Italie : procès de Turin

10 janvier 2012

- Le verdict du procès de Turin sera rendu le 13 février 2012
- "Nous organiserons une importante mobilisation le jour du jugement"
- L’Argent sale contre la justice : le maire de Casale Monferrato abandonne le procès de Turin
- Succès international du film "Poussière mortelle"


Le verdict du procès de Turin sera rendu le 13 février 2012

En Europe, en Amérique latine, en Asie sur tous les continents où l’amiante-ciment d’Éternit a semé la mort, des victimes ont les yeux tournés vers Turin.

Le verdict sera connu le 13 février. 6000 plaignants, deux années d’auditions… Le procès des deux dirigeants de la multinationale, Schmidheiny et de Cartier de Marchienne, est sans équivalent dans l’histoire internationale de la Santé au travail .

Le procureur Raffaele Guariniello a requis 20 ans de prison et d’importants dommages et intérêts pour les victimes, pour l’INAIL (la Sécurité sociale italienne) et pour les institutions locales.

Les victimes italiennes espèrent que le verdict sera à la hauteur des réquisitions.

Si le tribunal répond à leurs attentes, ce sera un formidable encouragement pour les victimes du monde entier.

Le 13 février sera une journée de mobilisation internationale pour saluer l’événement.

Bruno Pesce, président de l’Afeva, l’association des victimes de l’amiante italiennes, fait le point sur la situation.


"Nous organiserons une importante mobilisation le jour du jugement"

Vous avez tenu une assemblée générale à Casale Monferrato le 7 décembre.

Il y avait de 350 personnes. La salle était pleine. Le maire était absent.

Quelles sont les raisons de cette absence remarquée ?

Le milliardaire suisse Schmidheiny, a proposé 18 millions d’euros à la commune de Casale Monferrato pour qu’elle se retire du procès et s’engage à ne plus jamais se porter partie civile dans aucun procès à l’avenir.

L’assemblée unanime a demandé à la commune de refuser la proposition et en tout cas d’attendre le jugement pour y répondre. Mais Schmidheiny avait fixé une échéance. Le maire était pressé d’accepter cet argent. A n’importe quel prix.

Il a d’abord dit que l’argent servirait à financer « le développement de Casale ». Il dit maintenant qu’une partie servira à « la recherche sur l’amiante » et qu’il n’y a « pas une minute à perdre » pour sauver des vies...

Les institutions locales vous avaient soutenu jusqu’ici.

Oui, mais depuis les dernières élections la majorité a changé. Depuis février nous n’avons eu aucun contact avec la nouvelle administration régionale.

Elle ne convoque plus de réunion du Centre régional amiante. C’est une situation très grave, qui révèle une insensibilité aux problèmes de santé publique.

Comment a été prise la décision d’accepter l’offre de Schmidheiny ?

Elle a été prise à trois heures et demie du matin après un conseil municipal houleux qui s’est tenu sous la protection de la police. Des centaines de victimes étaient là. L’atmosphère était tendue. On a frôlé l’affrontement physique. Nous avons demandé au maire, Giorgio Demezzi de ne pas signer ce « pacte avec le diable ». Après six heures de réunion, l’acceptation de l’offre a été votée par le conseil municipal.

Quelles sont les conséquences de cette décision ?

Du point de vue moral l’impact est terrible. Dans une ville qui a connu tant de maladies et de morts, accepter cette offre c’est insulter leur mémoire. Pour les victimes c’est une humiliation et une souffrance.

Cela dit, cette proposition est tardive. Il n’est pas certain qu’elle change substantiellement le résultat du procès. Les victimes restent partie civile. Les charges contre les dirigeants d’Eternit restent accablantes.

Qu’avez-vous prévu pour le 13 février, jour où le tribunal rendra son jugement ?

Ce sera un jour historique. Les victimes et les familles l’attendent depuis si longtemps...

Nous organiserons une importante mobilisation en invitant tous ceux qui nous ont soutenus à y participer.

La jeunesse scolarisée sera présente. Il y aura aussi des délégations internationales.


L’Argent sale contre la justice :
le maire de Casale Monferrato abandonne le procès de Turin

Le milliardaire suisse Schmidheiny a offert dix-huit millions d’euros à la commune de Casale Monferrato pour qu’elle cesse de se porter partie civile et s’engage à renoncer à toute autre poursuite judiciaire à l’avenir. « C’est à prendre ou à laisser. Décidez-vous vite ! »

Malgré les protestations des victimes indignées venues par centaines crier leur colère, le conseil municipal, réuni sous la protection de la police, a voté à trois heures et demie du matin une résolution acceptant cette proposition indécente, qui transforme les souffrances des victimes en monnaie d’échange avec Éternit, l’empoisonneur de cette ville martyre de l’amiante.

« Ce pacte avec le diable est une insulte à la mémoire de nos morts »

La proposition de Schmidheiny a soulevé une tempête de protestations chez les victimes de Casale.

Romana Blasotti Pavesi, la présidente d’honneur de l’Afeva a reçu la visite du maire. Cette femme de 83 ans, à qui l’amiante a pris un mari, une fille, une sœur, une cousine et un neveu se souvient : « Je l’ai regardé dans les yeux et je lui ai dit une seule chose : d’abord la Justice, ensuite l’argent ».

« Je te paie
et tu renonces »

« Accepter cette offre serait tracer une croix sur vingt ans de lutte, qui ont fait de cette ville un exemple pour le monde entier », a dit Bruno Pesce, le président de l’Afeva

« C’est une monnaie d’échange : je te paie, et tu renonces à représenter ta ville et ses victimes en Justice. Accepter, c’est devenir complice », a dit l’ancien maire, Riccardo Coppo, qui avait été le premier à interdire l’amiante sur sa commune, cinq ans que ne soit adoptée la loi italienne.

« Tout l’or du monde
ne suffirait pas »

Son ancien adjoint, Gianni Crisafulli a témoigné : « mon père, comme beaucoup Casalais est mort d’un mésothéliome. J’entends encore les mots qu’il répétait dans ses derniers mois de vie : « tout l’or du monde ne suffirait pas à payer de telles souffrances ». Aujourd’hui, elles résonnent comme une prophétie ».

Transformer la souffrance
en opportunité économique ?

L’Afeva et les syndicats (Cgil, Cisl, l’Uil) ont averti : Pour la commune de Casale Monferrato, ville symbole de la lutte mondiale contre l’amiante, ville martyre avec déjà 1800 victimes parmi les ouvriers et les riverains, se retirer du procès serait accepter de transformer la souffrance en opportunité économique alors que le massacre continue ».

Le clergé local s’est déclaré « proche de ceux qui souffrent » et a demandé au maire d’avoir « le courage et la lucidité » de prendre une position conforme aux attentes des victimes.

La protestation a été internationale : sur le bureau du maire et à l’Afeva sont arrivés des mails d’associations de victimes de plusieurs pays.
Fernanda Giannasi, militante anti-amiante brésilienne, qui est venue à Casale et a reçu les victimes italiennes au Brésil, a jugé cette proposition « immorale et indécente » : « Je ne veux pas croire que le maire et les politiques de Casale Monferrato veuillent rester dans l’Histoire comme ceux qui auront trahi la mémoire des victimes pour 30 deniers ».

L’Andeva a dénoncé « un sordide chantage financier présenté comme un acte de philanthropie. La commune de Casale se déshonorerait si elle acceptait pour de l’argent de se désolidariser de 20 années de combat judiciaire ».

Après une période de mutisme et de tractations occultes le maire annonce enfin la couleur : « Rejeter l’offre sans l’évaluer serait un acte injustifié et irresponsable ». Il est pressé de signer pour avoir l’argent….

Le conseil municipal se tient le 16 décembre au soir. Les victimes et les familles se massent par centaines devant l’hôtel de ville. Elles passent sous le porche, envahissent l’escalier d’honneur, rentrent dans la salle de réunion, où leur présence dérange. C’est une marée de drapeaux italiens avec ces deux mots devenus l’emblème de la lutte : « Eternit, Justice ! ». Le maire argumente : « Une administration a le devoir de prendre des décisions difficiles au nom de l’intérêt général ».

Vergogna !

Les larmes des victimes se transforment en explosion de rage. Un cri enfle : « Vergogna ! » (Honte à vous !). Les élus se font insulter : « Traîtres ! », « Vendus ! ». Les poumons ravagés par l’amiante, des anciens d’Eternit leur jettent avec mépris de la petite monnaie... La séance est suspendue. La présidente crie aux carabiniers de faire évacuer la salle. On frôle l’affrontement.

« La décision a été prise en conscience. C’est un choix responsable pour l’avenir de la ville », explique le maire. A l’entrée de la salle, le visage fermé, Romana Blasotti Pavesi intervient. Personne n’ose l’interrompre : « Nos morts méritent davantage de respect ». Applaudissements prolongés...

Après six heures de discussion et quatre interruptions de séance, le vote est acquis par 19 voix contre 11. Mandat est donné au maire de signer l’accord. Il est trois heures et demie du matin.

Les conseillers municipaux sortent de la salle, tête basse, sous les sarcasmes des victimes qui leur font une haie du déshonneur.

Le coup est dur. Mais la lutte continuera. Sans eux.

Leur turpitude n’empêchera pas le tribunal de Turin de rendre son verdict le 13 février, ni ceux qui mènent ce combat depuis 30 ans d’être au rendez-vous de l’Histoire avec les victimes d’autres pays qui viendront leur apporter ce jour-là un message fraternel d’estime et de solidarité.


Succès international du film "Poussière mortelle"

Le film de Niccolo’ Bruna et Andrea Prandstraller, sur Casale Monferrato et le procès de Turin avait été projeté en avant première à Casale pour la journée mondiale des victimes de l’amiante. Il a aussi été projeté en Belgique la veille de l’ouverture du procès contre Éternit.

Ce fut chaque fois la même émotion, le même hommage aux deux cinéastes qui ont si bien rendu compte de cette lutte magnifique, des souffrances des victimes et de la folie meurtrière des industriels qui aujourd’hui encore au Brésil ou en Inde préparent la prochaine épidémie de cancers en faisant travailler des ouvriers sans les informer ni les protéger. Les yeux étaient humides et les gorges nouées, quand la lumière se rallumait dans la salle.
Projeté dans divers festivals, le film a été primé trois fois. Il est passé en novembre sur Arte, suivi d’un débat avec Pierre Pluta, Annie Thébaud et Bernd Eisenbach d’abord sur le plateau, puis sur Internet. Il est aussi passé à la télévision belge et suisse.

Des projections peuvent être organisées en France avec la participation des auteurs du film, notamment au moment du verdict. Prendre contact avec le siège de l’Andeva à Vincennes.


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva No 38 (janvier 2012)