Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Dossier : Amiante dans les écoles

15 mai 2018

- Premières leçons des luttes en cours
- Une table ronde
- Une priorité nationale
- Sauriez-vous lire un DTA ?
- Les mesures d’empoussièrement


Premières leçons des luttes en cours

En Ile-de-France et ailleurs, on assiste depuis des mois à des luttes tenaces contre l’amiante dans les établissements scolaires.

Elles expriment une prise de conscience du risque pour les élèves, les enseignants et les agents de service.

Au lycée Georges Brassens à Villeneuve-le-Roi au collège Balzac à Neuilly-sur-Marne, dans les écoles (maternelle et élémentaire) de la Rue Bachelet à Saint-Ouen, les situations varient mais l’exigence première est la même : travailler et étudier sans mettre sa santé ou sa vie en danger.

Les pouvoirs publics devraient prendre la mesure du problème : Le vieillissement et la dégradation des matériaux contenant de l’amiante en place depuis des décennies sont inéluctables.

Il faut en finir avec le déni, garantir la transparence, donner à chacun les moyens de savoir où est l’amiante et dans quel état.

Le but doit être ambitieux : éradiquer totalement l’amiante des bâtiments publics, en commençant par les écoles. Ce doit être une priorité nationale.

 

Dans les écoles construites avant 1997 (date d’interdiction de l’amiante en France), on trouve de l’amiante un peu partout : dalles de sol, colles, faux plafond, cloisons, toitures, parement de façades... Chaque année, la dégradation s’accentue.

Une exigence de transparence

Savoir s’il y a de l’amiante, où et dans quel état est une exigence légitime. Le dossier technique amiante (DTA), censé répondre à ces questions, doit être détenu par le chef d’établissement et mis à disposition des demandeurs.

Ce n’est pas toujours le cas. Au collège Jean Moulin d’Aubervilliers, le DTA avait été demandé et redemandé sans succès depuis 2010. En décembre 2012, les profs ont déposé un droit de retrait. Une heure plus tard, le DTA était retrouvé et distribué au personnel.

Pour les écoles de la rue Bachelet, il a fallu que les parents « retiennent » un responsable de la mairie pour obtenir la dernière version du DTA.

Le droit de se retirer d’une situation dangereuse

Dans l’Éducation nationale comme dans le privé, un salarié a le droit d’alerter l’employeur et de se retirer de toute situation dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger pour sa vie ou sa santé. Le chef d’établissement ne peut lui demander de reprendre son activité si persiste une situation de danger grave et imminent.Les textes précisent qu’aucune retenue de salaire ne peut être faite contre un salarié qui se retire d’une telle situation. En pratique, ce sont surtout des titulaires - moins vulnérables que les contractuels, les précaires ou les stagiaires - qui exercent ce droit.

Après la mise en évidence d’un DTA fantaisiste et de la présence d’amiante dans l’air, les enseignants du lycée Brassens ont exercé leur droit de retrait pendant 3 mois. Le retrait a été jugé légitime après l’enquête du CHSCT, mais condamné par le maire de Villeneuve-le-Roi qui a réclamé des retenues sur salaires. Le retrait a finalement été validé par le rectorat.

Construire une contre-expertise citoyenne

Presque partout, les profs se sont heurtés au même argument : « Vous n’êtes pas des spécialistes. Faites confiance aux experts ! ». Ils n’ont pas tardé à s’apercevoir que certains « spécialistes » disaient et faisaient n’importe quoi.

Dans les écoles de la rue Bachelet, un responsable technique de la mairie a osé dire qu’il n’y avait pas de danger puisqu’il n’y avait « pas d’odeur d’amiante » !
Au collège Balzac, les enseignants ont épluché le DTA - reçu très tardivement - et ont posé des questions qui fâchent : Pourquoi ce document n’a-t-il pas été régulièrement mis à jour ? Pourquoi le même matériau est-il classé un jour en liste A, un autre en liste B et un troisième en liste C ? Quelle valeur attribuer à des mesures d’empoussièrement réalisées hors de la présence des élèves et sans simulation d’activité ? etc.

« Nous sommes devenus un peu experts malgré nous », dira l’un d’eux.
Au lycée Brassens, un flocage brun amianté a été recouvert... par un second flocage blanc sans amiante, aussi friable que le premier ! Cette protection illusoire a commencé à se déliter. Ce procédé aberrant est une véritable faute professionnelle.

Les agents de service en première ligne

Beaucoup d’écoles ont encore des dalles de sol en vinyle-amiante (dalami). Les décaper avec une machine à disques abrasifs rotatifs est dangereux.

Dans une note d’octobre 2012, le recteur de l’Académie de Créteil avait écrit aux chefs d’établissement : « Je vous demande de veiller à ce que les opérations de décapage soient rigoureusement interdites sur des sols contenant de l’amiante, qu’ils soient en bon état ou dégradés. » Cette note est restée confidentielle.

«  J’ai fait cela pendant des années après 2012 », explique une salariée qui nettoie les sols au collège Balzac. On ne m’a jamais dit que c’était dangereux ».

Quand une dalle de sol se décolle, c’est souvent un agent de service qui la remplace, sans précaution particulière. Certains, croyant bien faire, éliminent même les traces de colle noire à la ponceuse, créant ainsi un pic de pollution, car la colle contient aussi de l’amiante...

Les intervenants extérieurs (artisans, PME) sont, eux aussi, en première ligne : dans une école de la rue Bachelet, des plombiers ont percé des trappes dans une cloison en amiante-ciment pour accéder à une tuyauterie. Personne ne leur avait rien dit...

Les élèves et leurs parents

C’est la santé de nos enfants qui est en jeu. Plus ils sont jeunes plus le risque est grand car les défenses immunitaires des tout petits sont plus faibles et leurs voies respiratoires plus proches du sol que celles des adultes.

Des parents le comprennent et se retrouvent aux côtés des enseignants. Les élèves se mettent parfois de la partie, comme au lycée Georges Brassens.

Mais d’autres parents se focalisent sur les problèmes immédiats : cours annulés, examens mal préparés, trajets allongés par un déménagement... sans voir au-delà. Des politiciens locaux tentent d’exploiter la situation en « chauffant » les parents contre ces enseignants fainéants qui veulent « allonger leurs vacances » aux frais de l’éducation nationale.

Une montée des risques psychosociaux

En fait, l’expérience montre que de tels événements sont anxiogènes pour les enseignants et les agents de service. Les premiers à lancer l’alerte sont considérés comme des excités, voire des fous... Quand le mouvement démarre et se prolonge, les profs sont écartelés entre l’envie d’exercer un métier qu’ils aiment et l’impossibilité éthique de reprendre les cours avec les élèves sans garantie qu’il n’y a aucun danger. Les arrêts maladie se multiplient...

Les agents de service, exposés sans le savoir, ont le sentiment d’avoir été traités comme des « moins que rien ». Le stress monte.

Certaines administrations mettent en place, une « cellule de soutien psychologique », comme si l’on était au lendemain d’un attentat. On aurait tort d’ironiser. Ce n’est certes pas la solution du problème. Mais certains enseignants y ont trouvé un lieu pour « parler de leur anxiété et des pressions de l’administration »...

De premiers résultats tangibles

La plupart de ces mobilisations se sont d’abord heurtées au déni ou à la minimisation du risque, sous prétexte de ne pas affoler...

Elles continuent, mais leur ténacité a d’ores et déjà obligé des administrations à lâcher du lest : revoir le DTA, diligenter des repérages ou des mesures complémentaires, organiser des visites, fermer certaines classes, recouvrir des dalamis par du lino, mettre en place un comité de suivi des travaux, former les agents de service, délivrer des fiches d’exposition, organiser un suivi médical des personnes exposées...

Ces mesures ont parfois été débattues dans des réunions très larges où se retrouvaient autour de la table enseignants, agents de service, parents, direction d’établissement, médecins de prévention, caisse régionale de Sécurité sociale, Agence régionale de santé... L’Addeva 93 y a souvent gagné le droit de cité.


Une table ronde

Le 24 mars, l’Addeva 93 tenait son assemblée générale annuelle. Un forum sur l’amiante dans les écoles était organisé avec la participation d’enseignants de plusieurs établissements en lutte.

Ils et elles ont fait le récit de leur lutte et expliqué les difficultés rencontrées. Leurs interventions ont eu un impact énorme et déclenché une discussion passionnée avec la salle.

Beaucoup de personnes présentes étaient des victimes et des veuves, mais aussi des parents et grands-parents qui découvraient l’ampleur du problème et se sentaient directement concernées par les risques pour leurs enfants et petits-enfants.


Une priorité nationale

21 ans après l’interdiction, les matériaux qui contiennent de l’amiante se délitent. Sous l’effet du vieillissement et des chocs ils libèrent des fibres cancérogènes qui étaient emprisonnées dans un liant (ciment, plâtre ou plastique). Cela se passe aujourd’hui dans nos écoles.

Il y a en France 63 600 établissements scolaires (dont 51700 écoles), 12,3 millions d’élèves

et 861 000 enseignants. 85% des établissements ont au moins un bâtiment construit avant 1997.

On ne règlera pas ce problème au cas par cas. Il faut faire du désamiantage des écoles une priorité nationale et en assumer le coût. Nous devons protéger les générations futures.


Sauriez-vous lire un DTA ?

Pour un profane, le DTA se présente au premier abord comme un document ardu, réservé à des spécialistes. Or l’expérience des dernières luttes montre que des enseignants ou des parents d’élèves motivés peuvent le comprendre, et même y relever des insuffisances, des erreurs ou des contradictions.

QU’EST-CE QU’UN DTA ?

Le « dossier technique amiante » doit répondre à trois questions simples : où est l’amiante ? Dans quel état ? Quelles mesures faut-il prendre pour garantir la sécurité des occupants ?

La responsabilité de sa réalisation, de sa mise à jour et de la mise en œuvre des mesures de prévention incombe au propriétaire : la municipalité pour une école maternelle ou primaire, le Département pour un collège, la Région pour
un lycée, l’État pour une université.

Ce document qui est à la fois une cartographie et une mémoire de l’amiante dans un établissement est obligatoire.

Le repérage des matériaux contenant de l’amiante (MCA) est confié par le propriétaire à un diagnostiqueur certifié qui évalue la dégradation des matériaux et fait des préconisations.

Le responsable de l’établissement scolaire doit demander le DTA au propriétaire. Il doit transmettre le DTA (ou sa fiche récapitulative) à toute personne qui en fait la demande : enseignant, agent de service ou parent d’élèves.

L’IMPORTANT EST DE SE POSER LES BONNES QUESTIONS

Quels établissements sont-concernés ?

Ceux dont au moins un bâtiment a reçu un permis de construire antérieur à 1997 (85% du total).

Dans plus des trois quarts des lycées et collèges construits avant 1997, une présence d’amiante a été constatée. (1)

Les établissements concernés ont-ils tous un DTA ?

Ce document est obligatoire. Pourtant une enquête officielle récente révèle qu’un DTA a été réalisé dans 99% des lycées et 96% des collèges, mais que ce document est encore inexistant dans une école sur trois ! (1)

Quels matériaux doivent être repérés ?

1) des matériaux susceptibles de libérer des fibres d’amiante du seul fait de
leur vieillissement (liste A) :

flocages, calorifugeages, faux plafonds.

2) des matériaux susceptibles de libérer des fibres d’amiante lorsqu’ils sont sollicités par frottement, ponçage, perçage, découpe (liste B).
tels que plaques d’amiante-ciment, dalles de sol en vinyle-amiante, conduits de vide-ordures... (accessibles sans travaux destructifs). (2)

Tous les locaux ont-ils été visités ?

Si des raisons matérielles ont empêché le diagnostiqueur d’accéder à tous les locaux ou s’il n’a pu atteindre certains matériaux il doit le mentionner explicitement, dans son rapport, au besoin en préconisant des investigations complémentaires.

Le DTA contient-il des préconisations ?

Le diagnostiqueur doit préciser si les matériaux investigués contiennent ou non de l’amiante, les localiser avec précision, évaluer leur état de dégradation et faire des préconisations.

Par exemple pour la liste A :

-  si l’état du matériau est satisfaisant (N=1), surveillance périodique tous les 3 ans par un organisme agréé,

- si l’état du matériau est intermédiaire (N=2), mesures d’empoussièrement par un organisme agréé et travaux si le résultat dépasse 5 fibres d’amiante par litre d’air ;

- Si le matériau est dégradé (N = 3), le propriétaire a 36 mois pour achever des travaux de retrait ou confinement. Dans l’attente des travaux, il doit prendre sans délai des mesures conservatoires pour atteindre un niveau d’empoussièrement inférieur à 5 fibres/litre d’air.

Il doit avertir le Préfet qui peut le contraindre à réaliser des mesures de prévention ou à diligenter une expertise à ses frais.

Les préconisations sont-elles réalisées ?

Le propriétaire qui n’applique pas les préconisations est passible de sanctions pénales.

Le diagnostiqueur est-il certifié ?

On peut vérifier une certification sur le site du ministère du logement :
http://diagnostiqueurs.din.developpement-durable.gouv.fr/index.action

On peut aussi demander le retrait de la certification d’un diagnostiqueur défaillant.

Le DTA a-t-il été actualisé ?

Le DTA est un document évolutif qui doit être régulièrement remis à jour pour intégrer l’appréciation de l’état de dégradation des matériaux contenant de l’amiante (qui évolue dans le temps).

Il doit aussi garder la trace des travaux de retrait ou de confinement. Si des dalles de vinyle-amiante sont recouvertes par du lino, la mémoire écrite de leur présence doit être conservée.

L’actualisation régulière du DTA est une obligation réglementaire qui n’est le plus souvent pas respectée dix. (1)
 
Qui peut accéder au DTA ?

« Le chef d’établissement est tenu de demander à la collectivité territoriale propriétaire des bâtiments, le dossier technique amiante (4)  ». Il doit informer le personnel de son existence et mettre ce document et sa fiche récapitulative à leur disposition.

Et pourtant les personnels et les parents d’élèves ont souvent du mal à l’obtenir5. La règle devrait être la plus grande transparence. Le refus d’informer et l’incertitude sont plus anxiogènes qu’une information bien faite.

Le Professeur Got avait proposé dès 1998 que toutes les données sur l’amiante dans les bâtiments soient réunies sur un site Internet dédié, accessible à tous, consultable comme l’est le cadastre.

L’Observatoire national de la Sécurité et de l’Accessibilité a proposé de « rendre accessible le DTA mis à jour par les moyens numériques modernes » et d’en « pérenniser l’archivage » (1).

Dès aujourd’hui, les DTA pourraient être mis en ligne sur le site Internet de chaque établissement, comme cela a été demandé au CHSCT ministériel.

1) Enquête réalisée par l’Observatoire national de la Sécurité et de l’Accessibilité des établissements d’enseignement (ONS) : analyse de 19 500 réponses à un questionnaire envoyé à 63 568 établissements (consultable sur Internet)

2) d’autres matériaux (liste C) doivent être recherchés, en cas de démolition du bâtiment. Cette recherche peut alors comporter des sondages destructifs.

3) « L’amiante, en prévenir les risques dans l’éducation nationale » (2006)

4) Les écoles privées sont propriétaires de leurs locaux.

5) Si la demande du DTA ou de sa fiche récapitulative se heurte à un refus, on peut saisir CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) qui enverra une mise en demeure (cada.fr)


Les mesures d’empoussièrement

Dans un bâtiment l’empoussièrement, mesuré par un opérateur certifié, ne doit pas dépasser 5 fibres d’amiante par litre d’air (F/l).

Les mesures d’empoussièrement sont souvent utilisées pour rassurer les enseignants et les parents. On leur explique : « il y a de l’amiante dans les locaux, mais il n’y en a pas en suspension dans l’air ». Une affirmation à prendre avec des pincettes.

Dans une école, les enfants provoquent des mouvements d’air et des vibrations qui mettent en suspension les fibres d’amiante dans l’air des salles de classes et des couloirs. Quand il n’y a personne, les fibres retombent. Les mesures d’empoussièrement doivent donc être faites dans les conditions habituelles d’utilisation des locaux. à défaut, l’activité humaine peut être simulée avec un ventilateur après balayage du sol, mais avec un risque de sous-estimation.

Des mesures réalisées sans présence des élèves et sans simulation d’activité n’ont aucune signification.

Avant de faire des mesures, il faut réfléchir à une stratégie de prélèvement tenant compte de l’activité et des sources de pollution. Ainsi, dans une école maternelle ou primaire, il faut placer les capteurs à la hauteur des voies respiratoires des enfants.
Les mesures ne sont pas le seul moyen d’objectiver la présence d’amiante. A Bachelet, 30 lingettes ont été passées sur les murs. 18 ont révélé une présence d’amiante, alors que les mesures ne trouvaient aucune fibre.

N’oublions pas que les meilleures mesures du monde ne seront jamais que la photographie d’une situation à un moment donné, une situation qui peut changer...
Des travaux de rénovation ou d’entretien peuvent ainsi provoquer des pics de pollution dans des locaux où l’on n’a trouvé « aucune fibre dans l’air ». Ils peuvent mettre en danger les opérateurs, mais aussi tous ceux qui réoccupent les locaux après leur passage.


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva No 57 (mai 2018)