Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Devant le pôle de Santé Publique... ...avec 1148 dossiers de Sollac et de la Normed

30 janvier 2014

La gravité d’un crime industriel

Venues de toutes les régions de France, 350 personnes se sont rassemblées le 6 novembre - trois semaines après la manifestation nationale - devant le pôle judiciaire de Santé publique à Paris.
Vêtues de combinaisons blanches, elles accompagnaient une délégation de l’Ardeva 59-62 et des veuves de l’amiante de Dunkerque venue remettre 1148 nouveaux dossiers de la Normed et de Sollac au pôle de Santé publique.
C’est en 1997 qu’avaient été déposées les premières plaintes contre ces deux entreprises. En 2005, ce fut un non lieu.
De nouvelles plaintes ont été déposées l’année suivante par deux plaignants tués depuis par l’amiante.>br>
En réunissant les dossiers de plus d’un millier de victimes, l’Ardeva apporte la preuve de l’ampleur des dégâts humains et de la gravité de la faute pénale.
Les participants à cette action ont montré leur ferme volonté de voir jugés les responsables.


Pierre Pluta, président de l’Andeva, a travaillé de longues années à la Normed. Il apporte son témoignage sur les conditions de travail qu’il a connues et explique pourquoi l’Ardeva Nord-Pas-de-Calais a réuni 1148 dossiers qu’elle veut remettre aux magistrats spécialisés du Pôle de santé publique.

Pourquoi tant de victimes de l’amiante à la Normed et la Sollac ?

La Normed était un chantier naval en activité de 1900 à 1988. Il y a eu jusqu’à 3000 salariés et autant d’intérimaires sur le site.Le chantier a fermé. II est inscrit sur la liste des établissements de construction et de réparation navales ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité.
La Sollac est devenue Arcelor-Mittal. Elle n’est pas inscrite sur la liste.
Toutes deux ont utilisé beaucoup d’amiante et contaminé de très nombreux salariés.

Quel était ton métier à la Normed, et quelles conditions de travail as-tu connues ?

Mon métier était ajusteur-mécanicien. Les compartiments machines étaient immenses, aussi hauts que des immeubles de plusieurs étages. Pour floquer les cloisons, les calorifugeurs utilisaient une pompe pour projeter sous pression l’amiante, dont une partie non négligeable nous tombait dessus. On aurait dit qu’il neigeait.
Nous avions de la poussière d’amiante sur nos bleus, nos narines en étaient pleines. Quand nous ne pouvions plus respirer, nous nous mouchions dans un chiffon.

Quand ont été déposées les premières plaintes ?

Les premières plaintes contre la Normed et la Sollac ont été déposées en 1997. Elles ont malheureusement débouché - 7 ans après - sur un non lieu. Ce fut un coup très dur ! Mais nous n’avons pas baissé les bras.

Vous êtes revenus à la charge...

Oui, après cet échec, deux nouvelles plaintes ont été déposées : la première par un ouvrier de Sollac, mort depuis d’un mésothéliome en 2006 à l’âge de 51 ans ; la seconde par un collègue de la Normed, emporté par la même maladie en 2007 à l’âge de 53 ans. Tous deux avaient participé aux marches des veuves et des victimes autour du Palais de Justice de Dunkerque.
Je n’oublierai jamais ma dernière visite à ce collègue de la Normed à l’hôpital. Il avait subi plusieurs opérations. Il était sous oxygène, très amaigri. Il sentait que sa fin approchait. Il m’a dit : «  Ce procès, je ne le verrai pas, mais vous, vous devez aller jusqu’au bout ».
Nous lui avons fait cette promesse et nous la tiendrons : nous irons jusqu’au bout malgré les obstacles.

Combien de nouveaux dossiers avez-vous réunis et pourquoi ?

Nous avons réuni 682 dossiers pour la Normed (dont 86 décès) et 466 pour la Sollac (donc 83 décès).
La Normed a fermé. La Sollac est devenue Arcelor-Mittal. Mais, dans les deux cas, notre but est le même : obtenir une saisine globale pour apporter la preuve tangible du nombre effrayant de maladies et de décès dus à l’amiante sur ces deux sites et montrer la gravité des conséquences de la faute de l’employeur.

Pourquoi êtes-vous repartis avec les dossiers que vous aviez prévu de déposer ?

Nous voulions qu’ils soient déposés par une délégation de victimes ou un représentant de l’association aux côtés de nos avocats. Le greffier avait pour consigne de ne recevoir que les avocats.
Comme lot de consolation le procureur a proposé de nous recevoir. Sur le procès pénal il nous a demandé de faire passer le message suivant : « 2014 sera l’année du procès pénal de l’amiante ». Nous en avons pris acte. Cela dit, notre demande de dépôt par l’association et ses avocats était légitime. Ce refus a été très mal ressenti. J’ai consulté les participants. Nous avons décidé à l’unanimité de repartir avec les dossiers et de faire une nouvelle demande.


Daniel, notre ami belge

Daniel était venu à Paris le 12 octobre avec Yollanda, son épouse.
Atteint d’un mésothéliome, il avait déposé une plainte pénale contre la société des chemins de fer belge, son employeur.
Le matin, avec Eric Jonckheere, le co-président de l’Abeva et maître Beauthiez, leur avocat, ils ont vu Georges Arnaudeau, cheminot retraité et président d’Allo amiante ainsi qu’Alain Bobbio et maître Ledoux.
Réunion chaleureuse et utile dont l’humour ne fut pas absent...
Tous deux étaient lucides sur la gravité de la situation. Leur détermination était impressionnante.
L’après-midi, ils ont participé à la manifestation de l’Andeva. Daniel est allé jusqu’au bout, malgré sa fatigue.
Le 6 novembre, un mail d’Eric nous informait qu’il s’était éteint à la clinique Saint-Joseph à Mons.
Ce jour-là, devant le pôle de Santé publique, l’Andeva a rendu hommage au courage de Daniel et de son épouse qui continue le combat.


Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°44 (janvier 2014)