Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Créteil (Val-de-Marne) Le Palais de Justice a été truffé d’amiante

17 septembre 2018

- « Les travaux promis sont retardés au mépris de la santé »
- Rassemblés devant le tribunal
- « Ma mère s’est éteinte le 8 juillet des suites de son mésothéliome.
Elle avait été juge durant dix ans au TGI de Créteil. »


« Les travaux promis sont retardés au mépris de la santé »

« Le tribunal de grande instance de Créteil, a été construit entre 1976 et 1978, explique le docteur Claude Danglot, biologiste et ingénieur hydrologue. à cette époque, dans le BTP, on mettait de l’amiante partout.

Alerte lancée dès 1997

A Créteil, l’alerte a été donnée par un agent d’entretien le 26 janvier 1997, un mois après l’interdiction.

La présidence du TGI a alors saisi l’ingénieur conseil du tribunal. Un Comité hygiène et sécurité (CHS) a évoqué ce problème. Un cabinet d’études a identifié de l’amiante notamment dans plusieurs flocages et dans les volets de désenfumage.

Valeur limite dépassée

Depuis la construction, la salle des archives du 12è étage, a connu des taux d’empoussièrement importants (de 38 à 100 fibres par litre d’air le jour de Noël 2005 !)

Il y avait aussi les « télélifts », de petit wagonnets qui transportaient les dossiers d’un étage à l’autre.

De forts courants d’air circulaient dans le tunnel du « télélift ». Ils conduisaient les fibres d’amiante vers les bureaux. »

Ce qui a été fait

« Le « télélift » a été fermé, explique Daniel Naudin, président de l’Entente syndicale du TGI de Créteil [1]. Tous les cartons des archives ont été désamiantés par une société spécialisée.Le désamiantage du douzième étage s’est achevé fin juillet 2009. Mais, juste après la fin des travaux, on mesurait encore 26 fibres au litre ! Au local de police, les dalles de sol ont été retirées n’importe comment.
Vingt, trente ou quarante ans après, des gens risquent d’être rattrapés par une maladie liée à l’amiante.

Ce qu’il reste à faire

Il y a encore de l’amiante dans divers matériauux : volets de désenfumage, plaques aux extrémités des couloirs à chaque étage, dalles de sols, entourages de fenêtres, conduits de ventilation, flocages dans des salles de repos... Le danger est encore là. »

Combien ont été exposés ?

Claude Danglot rappelle que « plusieurs centaines de personnes travaillent en permanence au Palais de Justice : fonctionnaires, magistrats, policiers, agents de maintenance... Tous devraient avoir une fiche d’exposition à l’amiante. Depuis la mise en service du bâtiment il y a quarante ans, des milliers de personnes ont été exposées, sans oublier les prévenus et les gendarmes qui attendaient dans de petites salles amiantées, près de la salle d’audience.

Des maladies liées à l’amiante

Un ouvrier de maintenance a été atteint d’une asbestose qui a été reconnue avec un taux d’incapacité de 70%. D’autres pathologies pulmonaires et laryngées ont vraisemblablement une origine « amiante.

Des travaux sans cesse reportés

En 2005-2010, les TGI de Nanterre et Bobigny ont subi d’importants travaux de désamiantage. A Créteil, les travaux promis sont reportés d’année en année au mépris de la santé des personnels exposées. »


« Rassemblés devant le Tribunal »

« Nous avons alerté les ministères de la Santé, de la Justice et de l’Intérieur, explique Daniel Naudin. Ils se renvoient la balle et rien ne se fait. »

Nous avions écrit aux présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée et du Sénat.

La direction de la Gendarmerie a été alertée, mais n’a pas répondu.

J’ai écrit au préfet au nom de l’Entente pour lui demander un CHSCT extraordinaire. Il s’est défilé.

Le président du TGI n’a pas répondu au président de la commission Affaires sociales du Sénat qui demandait que soit organisée une visite au TGI.

Le 23 juin dernier, un rassemblement a été organisé par l’Entente syndicale devant le tribunal, avec le soutien du conseil général du Val-de-Marne et le docteur Claude Danglot.

Nous avons exigé que le désamiantage du TGI de Créteil soit une priorité budgétaire.
Le président du TGI a expliqué au personnel qu’il n’y avait pas de danger amiante. »


1) L’Entente syndicale du TGI de Créteil regroupe la fédération Cgt des services publics, l’Unsa Police, Alliance Police nationale, Unsa justice, Unité SGP police FO.


« Ma mère s’est éteinte le 8 juillet des suites de son mésothéliome »

Elle avait été juge durant dix ans au TGI de Créteil.

Dimanche 8 juillet, ma mère Françoise Bienvenu, s’est éteinte des suites de son mésothéliome pleural malin, quatorze mois après son diagnostic. À mes trois frères, présents à son chevet, elle a glissé un pudique « à demain », avant de disparaître dans l’ambulance qui la conduisait à l’hôpital Bichat pour une opération d’urgence, hélas infructueuse...

Si ma mère savait la gravité de son cancer, elle ne voulait pas inquiéter son entourage et nous priait de « ne pas trop croire à ce que l’on dit sur Internet sur les mésothéliomes ». Cette volonté de nous préserver, se doublait d’une foi inébranlable dans les progrès de la médecine et le professionnalisme des équipes de l’hôpital Gustave Roussy, à Villejuif. Après tout, sa chimiothérapie l’été dernier, lui avait permis de grimper les châteaux cathares au printemps. Elle avait même repris ses fonctions de juge à mi-temps, au tribunal d’Evry et pour un peu, elle aurait bien réenfourché son vélo pour s’y rendre… Difficile alors de ne pas croire à une rémission.

En mai, lorsqu’un scanner a révélé la rechute de la maladie, j’ai perdu tout espoir. Je m’en cachais au mieux pour ne pas entamer l’enthousiasme de ma mère, très volontaire à l’idée de démarrer une immunothérapie expérimentale. Quelques semaines après le début de ce nouveau traitement, son souffle se faisait plus court, pis, son état de santé s’est soudainement dégradé.

L’an dernier, lorsque le verdict est tombé, nous avons été stupéfaits. Nous pensions nous être déjà acquittés de notre tribut, avec le décès de notre frère aîné, emporté à l’âge de vingt-cinq ans par une rarissime mastocytose cancéreuse.

Puis, l’incompréhension nous a envahis, mes frères cadets et moi. Quoi ? « Un cancer de l’amiante » ? Comment est-ce donc possible ? Où cette magistrate diligente et bienveillante - à laquelle les prévenus envoyaient d’émouvantes lettres de remerciement - avait-elle bien pu l’attraper ? Nos soupçons se sont d’abord portés sur la maison familiale, notre pavillon de banlieue. Résultats négatifs. Si ce n’est pas le domicile, c’est sans doute le lieu de travail ? Et c’est là, que mon frère Thomas a découvert ce qui semble une piste sérieuse : le Tribunal de Créteil, où ma mère a siégé de 1992 à 2002, en tant que première juge de l’application des peines (avec un bref passage aux « baux commerciaux »).

Nous le connaissions bien ce fameux « TGI », nous nous amusions à en reconnaître la silhouette depuis les fenêtre du RER D. Mais loin étions-nous, alors, de soupçonner que ce colosse en béton, à l’ascenseur panoramique fascinant, renfermait des fibres d’amiante en quantité affolante. Cette salle des pas perdus où, enfants, nous avons célébré les joyeuses fêtes de Noël du Comité d’entreprise, en contenait-elle aussi ? Et dire qu’il suffit d’une fibre…

L’an dernier, à mesure que nous retournions « la Toile » pour en savoir plus sur l’amiante au Palais de justice de Créteil, nous avions interrogé notre mère sur ses bureaux d’alors. Tiens, son séjour correspondait effectivement à la période de latence de son cancer s’est-on dit...

Puis nous avons changé de sujet. De l’amiante au TGI de Créteil ? Nous en ignorions tout. Jamais n’avait-on jugé opportun d’informer ceux qui fréquentaient le palais de justice sur les risques liés à la présence d’amiante dans les locaux.

D’après ce que je sais, ma mère n’a jamais consulté de médecin du travail. Une greffière, alors que nous déménagions le bureau de notre défunte au tribunal d’Evry, nous a confirmé que le médecin du travail au TGI de Créteil était pour ainsi dire inexistant. Et si c’était-elle la prochaine victime ? Quand je croise des collègues de ma mère, je ne peux m’empêcher de croire à l’éventualité.

Comment se fait-il que vingt-et-un ans après le signal d’alerte donné à Créteil, le désamiantage complet n’ait toujours pas eu lieu eu égard aux risques encourus, particulièrement élevés ?

Pourquoi l’amiante semble-t-elle un sujet tabou au sein de la Justice et de la fonction publique en général ?

Combien de morts faudra-t-il encore pour prendre les mesures de prévention nécessaires ?

Hélène Bienvenu


Article tiré du Bulletin de l’Andeva N° 58 (septembre 2018)


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