Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Courriers, Témoignages

2 mai 2014

« J’avais 15 ans, et je cousais des mouffles en amiante. »

Monique sortait de l’école quand elle a trouvé du travail dans une petite usine, à deux pas de la maison de ses parents. Un demi-siècle plus tard, elle a été rattrapée par un mésothéliome. Elle témoigne.

J’ai travaillé trois ans et demi chez Vieuxmaire au Raincy (93), une petite entreprise qui fabriquait des joints en amiante pour l’automobile et des vêtements anti-feu en amiante pour les pompiers.
Ma chef et moi devions découper et assembler des mouffles et des cagoules de pompier.
Le tissu d’amiante arrivait en grands rouleaux de 1,20 mètre.
Les rouleaux étaient empilés les uns sur les autres. Ce n’était jamais le bon qui était sur le dessus. J’escaladais la pile de rouleaux en faisant la « fofolle ». Nous avions souvent des fous rires...
Quand je trouvais le bon rouleau, nous le descendions à deux. Nous le déroulions sur une table posée sur des tréteaux.
Puis, il fallait plier la «  rame   » de tissu en accordéon sur plusieurs épaisseurs pour qu’elle passe dans la machine.

N’ayant pas 16 ans, je n’avais pas le droit d’utiliser les machines, mais j’ai dû m’y mettre avant l’âge requis.
Les chutes de tissu d’amiante allaient dans une poubelle ordinaire. En sortant de l’école, mon jeune frère passait devant l’usine. Ses copains et lui jouaient avec ces bouts de tissus. A l’époque, nous ne savions rien des dangers de l’amiante. Dans cette usine, je n’ai jamais entendu quelqu’un en parler.

Quand il faisait beau on faisait le pliage à l’extérieur ; quand il faisait mauvais, c’était dans l’atelier. La poussière d’amiante voltigeait dans les locaux. La manipulation des tissus en soulevait plus que celle des joints. En les pliant, on la voyait s’envoler...
Le vendredi soir, je faisais un grand nettoyage, une semaine sur deux, en alternance avec une autre fille de mon âge, qui emballait les cartons de joints. Il y avait beaucoup de poussière, qu’on balayait à sec, avec un balai de coco.
L’entreprise ne lavait pas nos blouses. Je ramenais les miennes à la maison. Nous étions six enfants. Il n’y avait pas de machine à laver. Ma mère lavait nos vêtements à la main.

J’ai quitté Vieuxmaire. J’ai été mécanicienne sur machines à coudre, vendeuse de grands magasins, puis j’ai travaillé 26 ans à la SAFT. J’ai pris ma retraite, en 1998.
L’an dernier, j’ai commencé à ne pas me sentir bien. J’étais essoufflée, je n’avais plus d’énergie pour recevoir des amis. J’ai passé des examens. Les médecins n’ont rien vu.
Un jour la situation est devenue invivable. Dès que je montais un escalier et même en marchant en terrain plat, j’étais essoufflée.

On m’a fait passer des radios. En voyant les premiers clichés, je n’ai pas pensé à l’amiante, mais j’ai tout de suite compris que j’avais quelque chose de grave aux poumons.
Ma chef avait déclaré une asbestose pulmonaire en 2000. Sa maladie a été reconnue. J’ai été, moi aussi, indemnisée par le Fiva.
J’ai été étonnée d’apprendre que le danger de l’amiante était connu depuis longtemps. Si mes parents l’avaient su, ils ne m’auraient jamais fait rentrer dans cette usine !
L’Addeva 93 m’a beaucoup aidée. Elle fait travail formidable. Merci à Maribel pour sa gentillesse.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°45 (avril 2014)