Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Condé-Sur-Noireau

2 mai 2014

Les enjeux d’un procès pénal

Condé-sur-Noireau est une ville martyre de l’amiante qui a payé un lourd tribut de souffrances et de deuils. Pendant des décennies, les usines Valéo-Ferodo ont répandu en toute impunité des poussières qui ont semé la mort non seulement dans ses usines mais aussi leur environnement.
Dans la vallée de la Vère, rares sont les familles épargnées.
Dès 1906 l’inspecteur Auribault avait lancé un cri d’alarme qui n’a pas été entendu. Il n’est pas possible que cette terrible hécatombe industrielle n’ait ni responsable ni coupable.
18 ans plus tard, les victimes de Condé attendent toujours que TOUS les responsables de tant de vies brisées rendent des comptes à la Justice : ceux qui dirigeaient les usines Valeo-Ferodo n’ont ni informé ni protégé leurs salariés, le médecin du travail qui a failli à sa mission, mais aussi tous ceux qui au Comité permanent amiante et dans la haute administration, se sont fait les complices des industriels de l’amiante.
Ceux qui ont participé à une véritable entreprise de désinformation visant à minimiser les dangers déjà bien connus de cette fibre mortifère.
Ceux qui ont accepté des valeurs limites d’exposition professionnelle qui n’empêchaient pas la survenue de cancers.
Ceux qui ont milité pour prolonger l’usage de l’amiante en France et combattu son interdiction en Europe et aux Etats-Unis.

Une interminable marche vers la Justice

Le 10 septembre 1996 est déposée au tribunal de grande instance de Caen la plainte pénale dans le dossier Ferodo-Valéo.
La Fnath et l’Andeva se constituent parties civiles.

En 2005, les magistrats spécialisés du pôle de Santé publique du Tribunal de grande instance de Paris sosont saisis du dossier.

En 2006, Madame Bertella-Geffroy, juge d’instruction, met en examen les anciens chefs d’établissements des sociétés Ferodo, Valeo, Honeywell et Ferlam (messieurs Masson, Picard, Préfot, Riutort, Surget et Sylvestre).

En 2007, elle met en examen le docteur Raffaeli, médecin du travail.

Toutes ces mises en examen sont aujourd’hui confirmées.

Madame Bertella-Geffroy recherche ensuite les responsabilités de plusieurs membres du Comité permanent amiante (CPA), organisme «  informel », créé, financé et manipulé par les industriels de l’amiante, devenu le fer de lance de la lutte contre l’interdiction de l’amiante.

En 2011 et 2012 sont ainsi mis en examen des participants au CPA : Dominique Moyen, ancien directeur de l’INRS, Jean-Pierre Hulot, secrétaire du CPA, Arnaud Peirani, chargé de mission au ministère de l’industrie, Daniel Bouige, ancien directeur de l’Association française de l’amiante (AFA) et directeur de l’Association internationale de l’amiante (AIA), Cyril Latty, ancien président de l’AFA (aujourd’hui décédé), Bernard Gibouin, ancien membre de l’AFA, Jean-Luc Pasquier, de la Direction des Relations du Travail, ainsi que Patrick Brochard, pneumologue, caution scientifique du CPA.

Elle met aussi en examen, Martine Aubry, directrice du Travail de 1984 à 1987 et Olivier Dutheillet de la Motte, directeur du travail de 1987 à 1995, représentés par Jean-Luc Pasquier

17 mai 2013 : la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris annule ces neuf mises en examen.

10 décembre 2013 : la Cour de cassation casse l’arrêt de la chambre de l’instruction, où elle relève deux contradictions :
1) Il dit que la politique « d’usage contrôlé » de l’amiante était justifiée par les connaissances médicales de l’époque, alors qu’on savait que les valeurs limites d’exposition ne protégeaient pas du cancer.
2) Il estime que le CPA n’a pas eu d’influence sur les pouvoirs publics, alors que ceux-ci se sont opposés aux projets d’interdiction américain et européen, sur la base de documents transmis par le CPA.

Les personnes concernées sont remises en examen. La Cour renvoie l’affaire devant la même juridiction autrement composée.

Mars 2014 : le rapporteur public auprès de la chambre de l’instruction autrement composée se prononce pour une nouvelle annulation de toutes les mises en examen !

Nous ne savons pas encore quelle sera la position de la chambre.

L’attitude scandaleuse du Parquet

L’arrêt rendu le 10 décembre par la Cour de cassation est clair et solidement motivé. Il a pour effet un retour à la situation antérieure, autrement dit une remise en examen des neuf dernières personnes concernées.
Après la cassation, le dossier va repasser devant la même chambre de l’instruction, composée de magistrats différents de ceux qui avaient rendu le premier jugement.

Le Parquet résiste à la Cour de cassation

Les conclusions du procureur général près la Cour d’appel de Paris prennent le contrepied de l’arrêt de la Cour de cassation en réclamant une nouvelle fois l’annulation totale des neuf mises en examen !
Cette résistance inhabituelle est dans la droite ligne de l’attitude suivie par le Parquet depuis le début de l’instruction du dossier pénal de l’amiante.
Rappelons qu’à ce jour pas une seule poursuite judiciaire au pénal n’a été engagée par un seul procureur en France pour la plus grande catastrophe sanitaire que la France ait jamais connue avec 100 000 morts annoncées (les seules plaintes sont celles déposées par des victimes).
Rappelons que le Parquet a mis tous les obstacles possibles et imaginables pour ralentir, restreindre voire bloquer l’instruction de ce dossier, s’opposant par exemple à la jonction des procédures et à la saisine globale.
Le Parquet reprend aujourd’hui la position de Martine Bernard, la présidente de la chambre de l’instruction, désavouée à trois reprises par la Cour de cassation !

Pas de pouvoir
réglementaire ?

La position du Parquet repose sur deux arguments fallacieux : l’absence de pouvoir réglementaire des représentants de l’Etat qui ont été mis en cause et l’absence de preuves d’une quelconque influence du CPA et de ses membres sur les décisions gouvernementales.
Certes un fonctionnaire de la Direction des relations du travail (DRT) par exemple n’a pas le pouvoir de signer des décrets, mais l’arrêté du 18 août 1982 précise que « la sous-direction des conditions de travail et de la protection » est « chargée de l’élaboration, de la mise en oeuvre et du contrôle de l’application de la législation et de la réglementation ». Il y a donc bien dans l’élaboration des textes réglementaires un processus décisionnel dans lequel la DRT est fonctionnellement impliquée.

Pas d’influence du CPA
sur les pouvoirs publics ?

Le deuxième argument a déjà été réfuté avec précision par la Cour de cassation, qui a noté dans son arrêt du 10 décembre que par deux fois la France s’était opposée à l’interdiction de l’amiante : en 1986 en Europe et en 1991 aux Etats Unis et que « ces prises de positions faisaient suite, l’une au dépôt d’un rapport, l’autre à la transmission d’un avis du CPA. »


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°45 (avril 2014)