Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Chloralp Pont-de-Claix (ex-Rhône-Poulenc)

2 mai 2014

- Au mépris de la santé des salariés
- 400 vaccinations à la bouillie d’amiante
- L’inspecteur tape du poing sur la table
- Un patron hors-la-loi
- Infos brèves complémentaires


Au mépris de la santé des salariés


L’entreprise a préparé de la « bouillie d’amiante » jusqu’en mars 2005 !
Le syndicat CGT du site chimique a déposé une plainte contre X au pénal avec constitution de partie civile.

«  Beaucoup de nos collègues sont tombés malades ou sont morts de l’amiante. Notre syndicat a porté plainte contre X en décembre 2013  », dit Jean-Pierre, militant CGT en charge du dossier.
« Nous ne pouvons accepter que la vie des salariés soit sacrifiée sur l’autel du profit  », ajoute Patrick, président du Caper Sud Isère.
Pendant des décennies Chloralp a acheté de l’amiante en vrac pour fabriquer ses diaphragmes sans informer ni protéger ses salariés.

L’amiante arrivait dans des sacs en toile de jute

«  Au début, la fibre d’amiante arrivait dans des sacs en toile de jute, dit Jean-Pierre. Il a fallu attendre 1985 pour qu’elle arrive humidifiée et compactée dans des sacs plastiques hermétiques à la demande du CHSCT.
Le stockage se faisait au sous-sol, sans précaution particulière.
Pour préparer la «  bouillie d’amiante  », on vidait les sacs de 25 kilos dans de la saumure et on mélangeait en ajoutant d’autres composants. Au début, les opérateurs n’avaient aucune protection respiratoire, puis on leur a donné des masques P3, mais aucune autre protection corporelle que leurs bleus de travail courants dont le lavage était confié à une entreprise extérieure. A ce poste n’existait aucun dispositif de captation des poussières, qui se répandaient un peu partout dans l’atelier. Le nettoyage des locaux était assuré par une société-sous-traitante qui ignorait tout du danger.
  »

Ils ont usé et abusé des dérogations

Le décret du 24 décembre 1996 interdisant l’amiante instaura des dérogations « à titre exceptionnel et temporaire » et « lorsque pour assurer une fonction équivalente, il n’existe aucun substitut à cette fibre   ».
La justification officielle était l’absence de substitut.
En fait, l’élaboration d’une technologie sans amiante ne posait pas de problèmes techniques insurmontables (d’autres sociétés déposèrent des brevets).
Mais Chloralp a tardé à rechercher une solution alternative, faisant passer le souci d’optimiser ses profits avant celui de préserver la santé des salariés.
Durant les huit années qui suivirent l’interdiction, elle a continué à utiliser l’amiante, d’abord avec la caution d’un Etat complaisant jusqu’à fin 2001, puis dans une illégalité consciemment assumée de 2002 à mars 2005.

Ils ont bafoué consciemment la loi

En novembre 2001, un mois avant l’expiration des dérogations, l’entreprise a commandé 10 tonnes d’amiante, pour se doter d’un «  stock stratégique  », en laissant entendre au comité d’entreprise que la dérogation serait prolongée.
L’intention frauduleuse est ici manifeste.
«  La société avait anticipé une utilisation illégale d’amiante au-delà de la période où les dérogations étaient possibles  », note la plainte pénale.
Les « vaccinations » à la « bouillie d’amiante » pour restaurer les propriétés physiques des diaphragmes défaillants vont continuer.
Le 1er janvier 2002, premier jour de l’interdiction totale de l’amiante, est créé un «  registre des personnes manipulant l’amiante » !
En 2004, la médecine du travail dénombre encore 47 salariés exposés et 25 anciens exposés.
Les risques sont connus. En 2004, un document interne évoque des scénarios tels que «  l’envoi de boues amiantées dans l’égout » ou « le débordement de la fosse dans la rue »...

Faire condamner ces agissements

« Si le syndicat a porté plainte, c’est pour faire condamner de tels agissements, explique Jean-Pierre. C’est aussi pour lancer un avertissement à tous les employeurs qui seraient tentés d’utiliser des produits interdits. De tels faits ne devraient plus jamais se reproduire. On n’a pas le droit de jouer avec la vie des autres. »
« Nous avons un devoir de mémoire vis-à-vis des familles de nos collègues décédés », ajoute Patrick.


2002-2005 : 400 « vaccinations » à LA « BOUILLIE D’AMIANTE »

En juillet 2004, une publication patronale titrait : «  Chloralp : l’amiante, c’est fini !  ». On pouvait y lire : «  la totalité des cellules de la chaîne II est désormais équipée de diaphragmes avec la TSA («  technologie sans amiante  »). L’auteur oubliait de dire que tous les diaphragmes, y compris ceux des cellules «  TSA   », étaient encore retapés par des « vaccinations  » à la «  bouillie d’amiante  » !
On préparait cette bouillie en mélangeant de l’amiante en vrac dans de la saumure avec d’autres produits, puis on l’acheminait dans un bidon mobile jusqu’à la cellule d’électrolyse, dans laquelle elle était injectée sous pression à l’aide d’une canne. Plus de 400 «  vaccinations  » ont ainsi été réalisées de janvier 2002 à mars 2005. En avril 2005, 14 tonnes d’amiante étaient encore stockées dans l’usine.


MARS 2005 : l’inspecteur tape du poing sur la table

Le 2 mars 2005, l’inspecteur du travail effaré découvre que les vaccinations à la bouillie d’amiante continuent, trois ans après la fin des dérogations !
Il voit une flaque de bouillie d’amiante sous le bac de stockage. Il voit des containers ouverts dont l’agitation projette « des égouttures en quantité importante sur le container et alentour ». Il voit aussi «  une large flaque de bouillie au sol, en plein milieu de l’allée   » dans l’atelier d’électrolyse et note que la vaccination se fait «  sans port de protections spécifiques amiante ».
« Cette situation est globalement inacceptable », écrit-il au directeur (...) il est impossible de continuer à utiliser l’amiante dans votre établissement. » Il réclame «  une action globale de remise en conformité, nettoyage, dépollution » par une entreprise spécialisée.


Un patron hors-la-loi

Pendant des décennies, les industriels du chlore ont utilisé des cellules d’électrolyse à l’amiante.
En janvier 1997, quand l’amiante fut interdit, ils obtinrent l’autorisation de continuer.
Chloralp utilisa des cellules à l’amiante jusqu’à fin 2001, grâce à une dérogation officielle, complaisamment renouvelée chaque année pendant cinq ans.
Au 1er janvier 2002 les dérogations ont pris fin. C’était prévu, mais l’entreprise avait tardé à élaborer des substituts sans amiante. Un mois avant l’expiration du délai, elle s’est hâtée d’acheter 10 tonnes d’amiante en vrac pour créer un «  stock stratégique  »  !
De 2002 à 2005 elle a continué d’utiliser des cellules avec amiante, attendant leur fin de vie pour les remplacer par une technologie sans amiante.
Quand une cellule perdait de l’efficacité, on la retapait par des «  vaccinations » à la «  bouillie d’amiante  ».
Cette opération a été réalisée plus de 400 fois entre 2002 et 2005, y compris sur des cellules dites «  sans amiante  ».
En mars 2005, l’inspecteur du travail a mis fin à cette pratique illégale et dangereuse.
Aujourd’hui les ex- salariés de Chloralp comptent leurs morts. Leur syndicat CGT porte plainte.


Un site chimique classé «  amiante  »

Créée en 1916, l’entreprise a souvent changé de mains dans la dernière période : Chloralp (1997), Rhodia (2006), Perstop (2008), Vencorex (2012). Elle a été inscrite sur la liste ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité amiante pour la période 1916-2001, puis jusqu’à 2005, l’amiante ayant été utilisé après 2001.

Des malades et des morts

Sur la plate-forme chimique du Pont-de-Claix, le syndicat CGT dénombre 150 personnes atteintes d’une maladie liée à l’amiante, dont une cinquantaine décédées.

La faute
inexcusable de l’employeur

A plusieurs reprises, des victimes et des familles d’anciens salariés de Pont-de-Claix décédés sont allées en justice pour faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur.

L’anxiété des salariés exposés

Le 13 mars, une centaine d’anciens de la plate-forme chimique de Pont-de-Claix dont Chloralp étaient au Palais de justice de Grenoble pour le procès opposant 182 « pré-retraités amiante  » à leur ancien employeur. Maitre Peggy Fessler, leur avocate, a évoqué leur chagrin face au décès d’anciens collègues et la crainte d’avoir comme eux une maladie grave.
Le jugement devrait être rendu le 6 juin.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°45 (avril 2014)