Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Barcelone - 9 juin 2015 : à la rencontre des victimes espagnoles

21 septembre 2015
Auteur(e) : 

« Les échanges d’expériences ont été fructueux »

Venues de France et d’Italie, des délégations
de l’Andeva et de l’Afeva ont tenu une réunion
avec des associations espagnoles affiliées à la
Fedavica. Hélène Boulot y était avec Patrice
Raveneau. Elle en tire un bilan enthousiaste.

Par qui était organisée
cette rencontre ?

Par les associations espagnoles
et la coopérative
d’avocats « Col-lectiu Ronda
 ». Une vingtaine de personnes
étaient présentes.
La fédération des associations
espagnoles (Fedavica)
regroupe environ 5000 adhérents.

Quelle est la situation des
victimes en Espagne ?

On estime qu’il y a 80 000
malades de l’amiante dans
le pays et que 50 000 personnes
vont mourir dans les
années 2010 et 2020. Les
principaux secteurs touchés
sont la construction et la
réparation navale ainsi que
le BTP (avec l’amiante-ciment).

Avez-vous fait des rencontres
intéressantes ?

Oui, les témoignages que
nous avons recueillis ressemblent
à ceux que nous
avons entendus à l’Andeva
depuis 20 ans.
« Nous ne savions pas que
l’amiante était dangereux,
nous ont expliqué les dockers
de Barcelone qui sont
toujours en activité. Ces
fibres bleues étaient en suspension
dans l’atmosphère.
Elles étaient très belles à la
lumière... Pour nous protéger,
on nous faisait boire du
lait... ».
Barcelone était le principal
port de déchargement de
l’amiante dans toute la Catalogne
jusqu’à l’interdiction
en 2002..
Nous avons aussi rencontré
des retraités d’Alsthom qui
crèent une association des
salariés de Federal Mogul,
des anciens des chantiers
navals... Nous avons parlé
avec des représentants de
l’association des malades
de l’amiante du Prat dans la
banlieue de Barcelone et de
Madrid.

Comment les maladies
professionnelles sontelles
indemnisées ?

Il existe un système de reconnaissance
ouvrant droit
à une petite rente. Mais
toutes les maladies ne sont
pas reconnues : seule l’asbestose
et le mésothéliome
pleural sont pris en charge.
Faire reconnaître un cancer
du poumon est difficile. Les
plaques pleurales ne sont
pas considérées comme
une maladie.

Quelles batailles judiciaires
mènent les associations
espagnoles ?


Elles ont fait condamner des
entreprises comme Uralita
ou Alsthom par une procédure
équivalente à la faute
inexcusable de l’employeur
en France. Ces actions ont
permis une majoration de la
rente versée à des malades
et des veuves.

Nous avons aussi rencontré
les avocats qui ont porté
le dossier de l’amiante en
lien avec les associations.
C’est un collectif qui est
organisé en coopérative.
(voir page suivante)

Comment se comportent
les industriels de l’amiante
espagnols ?

Les entreprises qui ont
contaminé leurs salariés
comme Uralita continuent
en 2015 à nier les effets
de l’amiante. Elles tiennent
aujourd’hui le discours que
nous avons combattu en
France dans les années
90 : « Toutes les variétés
d’amiante ne sont pas dangereuses….
l’amiante a sauvé
des vies…. ».

Que vous ont apporté les
échanges entre les représentants
des associations
d’Espagne, de France et
d’Italie ?

Ils ont été très utiles. Alessandro
Pugno, de l’Afeva, a
fait le point sur le procès pénal
contre Eternit en Italie.

J’ai fait une présentation
de l’allocation de cessation
anticipée des travailleurs
de l’amiante (Acaata) et du
Fonds d’indemnisation des
victimes de l’amiante (Fiva).

Aucun de ces dispositifs
n’existe en Espagne. Nos
amis espagnols ont posé
beaucoup de questions sur
le fonctionnement de ces
deux dispositifs et sur la
façon dont nous avions pu
agir en France pour obtenir
ces droits pour les victimes
et leurs proches.

La Fédération espagnole
des victimes prévoit une
manifestation des victimes
de l’amiante à Madrid en octobre
prochain pour demander
la mise en place de tels
dispositifs en Espagne.

Enfin, les derniers échanges
de cette rencontre ont porté
sur l’insuffisance de la législation
en matière de prévention.
En Espagne, les
seuls dispositifs législatifs
concernent les travailleurs
qui interviennent sur les
chantiers de désamiantage.
Il n’existe pas d’obligation de
repérage d’amiante dans les
immeubles bâtis, ni a fortiori
de diagnostic amiante.


LE COLLECTIF « COL-LECTIU RONDA »
Une coopérative au service du Droit des travailleurs

En 1972, durant la dictature, six avocats
ont créé un collectif pour la défense
des droits des salariés face à la
Sécurité sociale et pour de meilleures
conditions de travail.

Ils luttaient alors contre l’arsenal hyper-
répressif mis en place sous Franco
et pensaient qu’avec l’avènement
de la démocratie, leur action n’aurait
plus lieu d’être. En fait, après la mort
de Franco en 1975, leurs missions de
défense de la santé et des conditions
de travail des salariés n’ont cessé de
se développer.

Des avocats en autogestion

Dans les années 80, ils décidèrent de
se constituer en coopérative. Ils sont
aujourd’hui 104 salariés (juristes,
avocats, personnel administratif).

Toutes et tous sont parties prenantes
des actions menées et des décisions
prises au sein de la structure. La
forme juridique de coopérative permet
cet engagement militant des personnes travaillant au sein de Col-lectiu
Ronda, quel que soit leur poste. Le
fonctionnement par assemblées générales,
et l’autogestion permettent une
implication des travailleurs de la coopérative
dans la définition des orientations
et dans les choix.

200 procès gagnés contre Uralita

Les actions judiciaires de la coopérative
touchent deux domaines : la défense
de la santé des travailleurs, mais
aussi la défense du travailleur d’un
point de vue social, en luttant contre
les discriminations ou les expulsions
par exemple.

Depuis 2009, Col-lectiu Ronda a gagné
dans plus de 200 dossiers contre Uralita
 ; ils ont organisé des réunions publiques
régulièrement à Castelldefels
et Cerdanyolas, deux villes proches de
Barcelone où les industriels ont transformés
l’amiante et exposé les travailleurs
et les habitants pendant des
décennies.


DEUX VILLES ESPAGNOLES EMPOISONNEES PAR L’AMIANTE

Durant des décennies, l’industrie
de transformation de
l’amiante a semé la maladie
et la mort dans deux villes
de la banlieue de Barcelone :
Cerdanyola, et Castelldefels.
Dans la première, l’entreprise
s’appelait Uralita ; dans la seconde,
c’était La Rocalla.
L’amiante y a frappé non
seulement les ouvriers de
l’usine, mais aussi leurs familles
et des centaines d’habitants
qui n’avaient jamais
mis les pieds dans l’usine.

« Quand Julian est allé le voir, le pneumologue a déchiré le diagnostic d’asbestose pour écrire « asthme » à la place... »

CERDAGNOLA :
rencontre avec deux ouvriers d’Uralita

« A Cerdanyola, nous avons rencontré
Vicente et Julian dans les locaux
de la coopérative d’avocats Col-lectiu
Ronda. Ils étaient venus témoigner
contre Uralita. Vincente nous a montré
des traces rouges sur l’intérieur
de ses bras,
explique Hélène Boulot.
Ce sont des signes caractéristiques
d’un manque d’oxygène dans le sang.
On les rencontre dans les cas d’asbestose
grave. En France, ils sont
devenus rares ; en Espagne ils sont
encore monnaie courante. »

Le développement industriel de Cerdanyola
a débuté en 1907 avec la
construction de 12 énormes usines
rangées sur 1,5 kilomètre de long. La
ville a grandi avec elles.

« Les rues ont été garnies de morceaux
d’amiante, pour éviter la boue,

raconte Hélène. Comme à Thiant
dans le Nord de la France ou à Casale
Monferrato en Italie, l’usine
d’amiante-ciment distribuait gratuitement
ses rebuts... »

Mais Thiant et Casale se sont révoltées
 ; A Cerdanyola presque tout le
monde se tait.

« Vicente et Julian militent pour que
soit désignée la responsabilité de
l’amiante dans le malheur qui accable
la ville. Mais ils se sentent bien seuls.
En attendant, les nombreuses victimes
de mésothéliomes s’éteignent
presque sans bruit.
Quand Julian est allé voir le pneumologue
de Cerdanyola, il a déchiré le
diagnostic d’asbestose pour écrire
« asthme » à la place... »

Pourquoi si peu de réactions ?

On cite un arrêt récent de la Cour
de cassation qui oblige des victimes
à restituer des indemnisations obtenues
en première instance et confirmées
par la cour d’appel. Près de
quatre millions à rembourser, avec
les intérêts !
Il y a de quoi être sonné…

On évoque la prise de conscience
tardive du danger en Espagne où
l’amiante n’a été interdit qu’en 2002.

On parle aussi de la dictature franquiste
qui a sévi jusqu’en 1975 et de
la frénésie de construction qui a suivi
sa chute. Il fallait imaginer, construire,
moderniser…

CASTELLDEFELS :
L’usine La Rocalla
était plus grande
que le village

A Castelldefels, l’entreprise s’appelait
La Rocalla. L’usine était plus grande
que le village. Les ouvriers venaient
de toute l’Espagne pour trouver du
travail, principalement des régions les
plus pauvres comme l’Andalousie ou
l’Extremadure. Plusieurs membres
d’une même famille y travaillaient.

Les maladies et les morts de l’amiante
ont suivi. Les gens ne savaient pas de
quoi ils mourraient.

On disait : « Ils sont mort de la Rocalla
 », y compris dans les années
2000 !

Les premières mobilisations et manifestations
devant l’usine ont eu lieu en
2008.

Des procès ont été gagné pour d’anciens
travailleurs mais aussi pour les
épouses qui lavaient les bleus de travail.

Aujourd’hui, le groupe Uralita est propriétaire
de La Rocalla.


LE TRAVAIL DU DOCTEUR TARRES

Ancien médecin urgentiste,
le Docteur
Tarres s’installe à
Cerdanyola en 1973
comme médecin de
ville. Il reçoit dans
son cabinet des travailleurs
d’Uralita atteints
de problèmes
pulmonaires. Leur
nombre est anormalement
élevé. Il
commence alors à
comptabiliser les
pathologies et les décès
liés à l’amiante...

« 40% des personnes atteintes d’un mésothéliome n’ont jamais travaillé dans l’usine »

La création d’un observatoire des maladies

En 2002, il constitue un
groupe de 10 médecins
« l’observatoire de pathologie
de l’amiante ».

Les médecins de la ville
et des alentours renvoient
alors des informations vers
ce groupe, qui enregistre
les cas.

Deux conclusions s’imposent
 :

1) Le nombre de pathologies
liées à l’amiante augmente.

2) La proportion de malades
qui n’ont jamais travaillé
dans l’usine est très
importante : 33,4% pour
l’ensemble des pathologies,
40% pour le mésothéoliome
pleural !.

« Le docteur a localisé les cas sur une carte »

« Le docteur Tarres nous
a montré une carte où
il a localisé les cas. Il
nous a expliqué que la
plupart des maladies se
situent dans une zone qui
part de l’usine et suit le
sens du vent qui se dirige
vers la mer,
dit Hélène.

Il estime qu’il y a actuellement
50 nouveaux cas de
mésothéliome par an (sur
une population de 400 000
habitants). »

Pendant toutes ces années,
le Dr Tarres a subi
des pressions. Les maires
de l’époque lui reprochaient
de donner une mauvaise
image de la ville…

La Sécurité sociale espagnole
va bientôt obliger le
docteur Tarres à prendre
sa retraite.

« Il voudrait continuer,
bénévolement, à enregistrer
et suivre les maladies
liées à l’amiante
, ajoute
Hélène. Il a peur que tout
ce travail disparaisse.

Il nous a demandé si l’Andeva
pouvait intervenir
pour l’aider.

[En Espagne, les médecins
sont salariés de la Sécurité
sociale. On ne choisit pas
son médecin ; on prend celui
de sa circonscription si l’on
veut que les examens soient
remboursés].


UN FILM, UN HOMMAGE

« Unis contre l’amiante »

Un émouvant reportage
a été tourné
par le collectif
« Col-lectiu ronda »
à l’occasion de
l’inauguration d’une
plaque commémorative
à Castelldefels
en hommage
aux victimes de
l’amiante.

Il raconte l’histoire
de ces familles
d’ouvriers, venus
des régions les plus
pauvres de l’Espagne
pour travailler
à La Rocalla.

Ils n’avaient rien.
L’usine d’amiante
leur donnait un emploi,
un salaire, une
maison...

Elle les faisait vivre
et les faisait mourir.

Les témoignages
des ouvriers et des
familles sont accablants.

Beaucoup
venaient de la campagne.
Ils ne savaient
rien du danger.

Le film montre
la lente prise de
conscience qui a
permis ce difficile
combat judiciaire .

Les avocats du
collectif évoquent
les tout premiers
procès : l’émotion
des premières rencontres
avec les victimes
de ce crime
industriel, le déni
cynique des employeurs,
la joie des
premières victoires
judiciaires...

Un combat qui laissera
des traces indélébiles.


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva N°49 (septembre 2015)