Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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Allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante

10 janvier 2012

- Une première à la Cour d’appel de Paris : "La justice a reconnu que l’amiante avait bouleversé nos conditions d’existence"
- Un préjudice « en lien direct » avec la contamination par l’amiante
- Jean-Paul Teissonnière : "Une nouvelle étape pour le droit à la santé et à la sécurité au travail"
- Eaton (Saint-Nazaire) : six années de lutte pour une reconnaissance amiante
- Verrerie de Vianne : Victoire !
- Arkema (Jarrie) : existences bouleversées
- Travailleurs de l’Etat : préjudice d’anxiété reconnu
- Régimes multiples : toutes les années comptent
- Friedlander (Saint-Aubin) : Sous-traitant sur les listes


Une première à la Cour d’appel de Paris :
"La justice a reconnu que l’amiante avait bouleversé nos conditions d’existence"

Par un arrêt du premier décembre 2011 la cour d’appel de Paris a indemnisé 34 anciens salariés de ZF Masson partis en « pré-retraite amiante » de leurs préjudices, leur accordant 15 000 euros au titre du préjudice d’anxiété et 12 000 euros au titre du « bouleversement des conditions d’existence ».

« Comment vivre en sachant qu’on a dans les poumons des fibres cancérogènes qui ont déjà tué des collègues de travail ? »

Les ex-salariés de ZF Masson à Saint-Denis-lès-Sens avaient été les premiers à engager une action aux prud’hommes avec le soutien de l’Addeva Yonne.

Ils n’acceptaient pas de voir leur employeur arrondir ses bénéfices en utilisant les « départs amiante » pour s’offrir un plan social bon marché, alors que leur revenu diminuait.

Ils allèrent donc en justice pour demander à l’employeur de payer la différence entre leur ancien salaire et le montant de l’allocation de cessation anticipée d’activité (65% du brut).

Ce préjudice économique fut reconnu par le conseil de prud’hommes de Sens puis par la cour d’appel de Paris.

Statuant le 11 mai 2010, la cour de cassation cassa le jugement, en considérant que la baisse de revenu des allocataires avait été voulue par le législateur et ne devait donc pas être mise à la charge de l’employeur.

« La déception fut énorme, se souvient Patrick Thourigny, président de l’Addeva Yonne. Après quatre années de procédure judiciaire, nos espoirs s’écroulaient. Nous nous retrouvions les mains vides ! ».

La cour de cassation avait fermé une porte, mais elle en avait ouvert une autre, car, le même jour, elle a reconnu, pour la première fois en France, l’existence d’un préjudice d’anxiété comme le demandaient des ex-salariés de l’Ahlstrom Bergerac, avec le soutien du Cerader 24

Un an et demi plus tard, les deux affaires ont été rejugées sur le fond par deux cours d’appel de renvoi : celle de Toulouse et celle de Paris autrement constituée.

Toutes deux ont suivi la cour de cassation dans son refus d’indemniser le préjudice économique consécutif au départ en « pré-retraite amiante », mais la cour d’appel de Paris a ouvert une seconde porte en reconnaissant un bouleversement dans les conditions d’existence.

Pour caractériser ce préjudice, son arrêt utilise une expression forte, disant que les plaignants ont été victimes d’une véritable « amputation de leur avenir », une amputation affectant « irrémédiablement et quotidiennement » leurs projets de vie « dans de nombreux domaines autres que matériels ou économique ».

Dans sa plaidoirie, maître Jean-Paul Teissonnière, avocat des anciens salariés de ZF Masson, avait clarifié le débat , en prenant soin de distinguer deux types de préjudices :

1) la baisse de revenu consécutive à la cessation anticipée d’activité,

2) l’anxiété et les bouleversements dans les conditions d’existence (indépendants de cette cessation d’activité) .

« Avec le recul, explique-t-il aujourd’hui, l’anxiété et le bouleversement des conditions d’existence apparaissent comme deux composante d’un préjudice global de contamination, comparable à celui que des victimes du VIH ou de l’hépatite C.. »

Le droit rejoint ici le vécu des ouvriers. Qu’on soit ou non en « pré-retraite amiante », on ne vit plus de la même façon quand la vie peut être à tout moment abrégée par le poison qui a déjà emporté des collègues de travail. « Notre vie a été bouleversée par l’amiante. Il est important qu’enfin une cour d’appel le reconnaisse » explique Ezzine Khalfaoui, le vice-président de l’Addeva Yonne.

Le lendemain de cet arrêt, on apprenait la reconnaissance du préjudice d’anxiété et du bouleversement des conditions d’existence par les prud’hommes de l’Isère pour une action contre Arkema Jarrie soutenue par le Caper Sud Isère.


Un préjudice « en lien direct » avec la contamination par l’amiante

« Indépendamment de l’inquiétude permanente face au risque de développer à tout moment une pathologie grave,

et sans prendre en compte la restriction de leurs moyens financiers, en raison de la diminution de leurs revenus, consécutive à leur démission dans le cadre du dispositif légal mis en place et qu’il n’appartient pas à l’employeur fautif de combler, au titre d’une perte de revenus,

sur le fondement des règles de la responsabilité civile, les anciens salariés de la SA ZF MASSON, conscients de la diminution de leur espérance de vie, sont effectivement amputés pour une part, de la possibilité d’anticiper sereinement leur avenir et sont ainsi directement et dès à présent contraints dans leur vie quotidienne de tenir compte de cette réalité au regard des orientations qu’ils sont amenés à donner à leur existence.

Il s’ensuit que leurs projets de vie dans de nombreux domaines autres que matériels ou économiques sont irrémédiablement et quotidiennement affectés par cette amputation de leur avenir.

Le préjudice en résultant est en lien direct avec leur contamination et doit également faire l’objet d’une indemnisation spécifique dès lors qu’il découle directement de leur exposition aux fibres d’amiante et aux carences précédemment relevées de l’employeur au regard de l’obligation de sécurité de résultat lui incombant. ».

(extrait de l’arrêt de la
cour d’appel de Paris)


Jean-Paul Teissonnière :
"Une nouvelle étape pour le droit à la santé et à la sécurité au travail"

Avocat des ex-salariés de ZF Masson et de l’Ahlstrom, maître Jean-Paul Teissonnière commente le jugement rendu par la cour d’appel de Paris :
« Cet arrêt fait franchir une nouvelle étape au droit à la santé et à la sécurité au travail. Il ajoute à la conception classique de la responsabilité fondée sur la réparation du dommage corporel, un nouveau principe de responsabilité fondé non plus sur la réparation du dommage mais sur la prévention. »

Comme dans une procédure pour « mise en danger d’autrui » au pénal, ce qui est ici un délit pour les prud’hommes au civil, ce n’est pas un dommage réalisé (une maladie), c’est le non respect par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat, qui risque d’avoir comme conséquence lointaine la survenue d’un maladie grave et a comme conséquences immédiates une anxiété et des bouleversements dans l’existence dus à la menace d’une vie abrégée.

Cet arrêt peut, si la jurisprudence se consolide, fournir un formidable outil aux organisations syndicales et aux élus dans les CHSCT confrontés à des produits cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), dont les effets différés peuvent n’apparaître que plusieurs décennies après l’exposition.
Sans attendre la survenue d’une maladie, ils peuvent, à condition d’avoir un dossier solide, saisir le conseil de prud’hommes pour rappeler à leur employeur ses obligations en matière de prévention et lui faire comprendre que le non respect de la santé de ses salariés a un coût
Il faut aussi tirer toutes les conséquences de cet arrêt en matière de réparation des préjudices subis par les victimes de maladies professionnelles.

Pour Jean-Paul Teissonnière « Le montant total atteint (27 000 Euros) doit inciter à une réévaluation des indemnisations des victimes de dommages corporels dont les effets en terme de souffrance physique et morale, de perte d’agrément et d’incapacité sont autant de facteurs qui s’ajoutent au préjudice résultant du seul fait de la contamination. »


Eaton (Saint-Nazaire) : :
six années de lutte pour une reconnaissance amiante

Créée en 1977, cette entreprise américaine, qui a fermé en 2001, fabriquait des boites de vitesses pour poids lourds. Elle est enfin inscrite sur la liste des établissement ouvrant droit à la cessation anticipée.

« Le ministère a fait preuve d’un véritable acharnement »

Cette victoire, est le fruit d’un long combat mené par l’Addeva 44, Frédéric Quinquis du cabinet Ledoux, et les anciens salariés d’Eaton.

Le dossier a été débuté en 2004.

En 2005 il a été déposé à l’inspection du travail.

En 2006 il a été rejeté par le ministère.

En 2007 le tribunal administratif de Nantes a désavoué le ministère et en septembre 2007, l’entreprise a été inscrite.

Le ministre a alors saisi la cour d’appel de Nantes, qui lui a donné raison.
Eaton a donc été retiré des listes en octobre 2008.

En 2009, le conseil d’Etat a débouté le ministre.

En janvier 2011, la cour cour d’appel de Nantes autrement composée a confirmé l’inscription d’Eaton.

Avec un véritable acharnement, le ministre a alors engagé un nouveau pourvoi que le Conseil d’État a heureusement rejeté le 24 juin 2011.
Le mois suivant, la commission accidents du travail-maladies professionnelles a validé le projet d’arrêté inscrivant Eaton sur les listes. Plus rien ne s’opposait à l’inscription.

Il a pourtant fallu attendre encore 5 mois pour que l’arrêté paraisse au journal officiel,

« Six années de procédure ! Dans cette affaire, le
ministère a fait preuve d’un véritable acharnement », expliquent Patrick Hamon et Gérard Deslandes, qui ont suivi ce dossier pour le secteur du Croisic de l’Addeva 44.

Aujourd’hui plus de 70 salariés sont reconnus en maladie professionnelle sur les tableaux 30 et 30 bis, 3 décès dus à l’amiante ont été reconnus, 2 actions en faute inexcusable sont en cours.

Cette inscription permettra à d’anciens salariés d’Eaton de partir en « préretraite amiante ». Ils pourront aussi engager une action prud’homale sur leur préjudice d’anxiété et sur
le bouleversement de leurs conditions d’existence.


Verrerie de Vianne : :
Victoire !

Le 29 décembre est paru au journal officiel l’arrêté inscrivant la verrerie de Vianne sur la liste ouvrant droit à la cessation anticipée d’activité.

« La bataille juridique a duré 3 ans et demi, dit Patrick Zalio, le président du Cerader 47, et il a fallu encore 5 mois pour que l’arrêté sorte ! ».

Une belle victoire de l’association et la CGT : « la preuve que notre cause était juste »


Arkema (Jarrie) : :
existences bouleversées

Le 2 décembre des ex-salariés d’Arkema en Acaata ont obtenu 10 000 euros chacun pour l’anxiété et des sommes variant avec l’âge (de 6500 à 30 000 euros) pour le bouleversement des conditions d’existence.

Sur le site d’Arkema Jarrie, 31 anciens salariés sont morts de l’amiante, une cinquantaine de salariés sont atteints. L’entreprise a été condamnée en faute inexcusable.

« Toutes les victimes sont adhérentes au Caper Isère », dit Patrick Casillas, président de l’association.


Travailleurs de l’Etat : :
préjudice d’anxiété reconnu

Le 13 décembre, la cour d’appel administrative de Marseille a reconnu le préjudice d’anxiété pour 3 dossiers introduits par la mutuelle de la Méditerranée qui avaient été rejetés en première instance par le tribunal administratif de Toulon.

Une première chez les travailleurs de l’État.


Régimes multiples :
toutes les années comptent

Sur demande de l’Andeva un amendement a été introduit à la loi de financement de la Sécurité sociale pour garantir la prise en compte de toutes les années ouvrant droit à l’Acaata pour des salariés de la navale ayant été affiliés à des régimes sociaux différents.

Reste à régler par décret le problème de la date de départ à 60 ans avec toutes les années, comme l’a demandé l’Andeva.


Friedlander (Saint-Aubin) :
Sous-traitant sur les listes

L’arrêté inscrivant l’établissement est paru au JO le 6 décembre 2011 pour la période de 1970 à 1996.

Pour le Caper 04 et le CHSCT cette inscription, après celle de Faure SA, représente « une énorme avancée concernant les entreprises sous-traitantes qui ont gravité sur le site de Saint-Auban ».

La lutte continue pour faire inscrire d’autres sous-traitants.

238 dossiers sur le préjudice d’anxiété sont en cours.


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva No38 (janvier 2012)