Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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8.1 Cessation anticipée d’activité "amiante"

23 septembre 2016

- Les intérimaires, les sous-traitants et la "pré-retraite amiante"
- Patrick Hamon : "les sous-traitants des chantiers ont été exposés, mais leurs entreprises ne sont pas sur les listes
- Fonderie du Poitou : la direction veut torpiller l’inscription
- Roussillon : inscription de la plate-forme chimique
- Comment sont gérés les dossiers ?


Les intérimaires, les sous-traitants et la "pré-retraite amiante"

En 2008, le Médiateur de la République proposait de « faire bénéficier du dispositif les salariés employés en sous-traitance ou en intérim » [1]. L’idée était bonne, mais la loi n’a pas changé. Huit ans ont passé. Où en sommes-nous ?

LES DROITS DES INTERIMAIRES

Une circulaire

Une circulaire ministérielle du 14 décembre 2000 [2] ouvre le dispositif aux intérimaires à condition qu’ils fournissent à la CARSAT « des ordres de mission et des documents établis à une date comprise dans les périodes figurant dans l’arrêté inscrivant l’établissement »

A défaut « une attestation de l’entreprise de travail et une attestation de l’entreprise utilisatrice comportant chacune une description précise des périodes de mission dans l’établissement figurant sur les listes  ». Les périodes devront être attestées «  de manière certaine et concordante  ».

Le contentieux

Ces conditions. sont difficiles à réunir : le salarié n’a souvent pas conservé de justificatifs de son emploi à l’époque. Certaines entreprises ont disparu, d’autres refusent de délivrer des attestations.

Mais le salarié peut contester un refus de la Carsat.

En 2008, la cour d’appel de Rouen [3] a confirmé un arrêt de première instance qui ordonnait le départ en «  pré-retraite amiante » d’un intérimaire ayant travaillé des années dans une entreprise de la navale. Il avait produit des contrats de missions, une attestation de son agence d’intérim, un certificat de travail et des attestations d’anciens collègues. La Cour a estimé que ces documents concordants étaient des preuves suffisantes.

Un arrêt plus récent de la Cour d’appel de Bordeaux [4] a validé la demande d’un intérimaire qui avait produit des attestations d’anciens collègues en l’absence d’ordres de missions.

La société d’intérim et l’entreprise inscrite sur les listes ayant disparu, la cour a jugé qu’on ne peut lui «  faire grief de ne plus disposer de ses ordres de mission datant de près de 40 ans ».

Seul un examen au cas par cas dans le strict cadre de la circulaire de 2000 permettra donc à une juridiction de faire droit à la demande d’un intérimaire.
Il faudra notamment produire divers documents (certificats de travail, attestation rédigée par l’entreprise sous-traitante, témoignages de collègues) précisant son affectation au sein de l’établissement listé et la période d’activité.

LES DROITS DES SOUS-TRAITANTS

Une circulaire

Une circulaire de la CNAM de janvier 2006 [5] interdit aux salariés d’une entreprise sous-traitante, intervenue sur un site « classé amiante  », de bénéficier de l’Acaata, si l’établissement dont il est salarié n’est pas lui-même inscrit sur les listes.

Cette circulaire exclut tous les salariés sous-traitants qui ont travaillé sur un site inscrit sur la liste.

Le contentieux

« Quatre arrêts récents de la Cour de cassation [6] montrent que la porte n’est peut-être pas complètement fermée », explique Frédéric Quinquis.

La cour d’appel de Bordeaux avait jugé que chacun des anciens salariés sous-traitants pouvait bénéficier de l’allocation amiante, car il avait travaillé durant la période de référence «  au sein non de l’établissement de son employeur, mais d’un établissement figurant sur la liste fixée par l’arrêté interministériel du 3 juillet 2000 modifié, et avait été ainsi exposé habituellement au contact de l’amiante ».

La Cour de cassation a jugé qu’elle avait eu raison d’en déduire que le salarié était de ce fait « fondé à bénéficier de l’ACAATA pour la période litigieuse  ». (dans ces affaires, les salariés avaient travaillé en sous-traitance dans l’établissement listé avant d’en devenir eux-mêmes des salariés).

Il incombera aux juges du fond d’apprécier ce que signifie « exposition habituelle ».

Une voie semble s’ouvrir avec ces quatre arrêts de la Haute juridiction.
Le salarié en sous-traitance qui voudra s’y engager, en prenant appui sur cette jurisprudence, devra rapporter des preuves précises et concordantes, justifiant sa période d’emploi au sein d’un établissement listé en qualité de sous-traitant. Il devra aussi préparer méticuleusement en amont des pièces qui seront d’abord examinées par la CARSAT avant de l’être par le juge en cas de refus.

[1] Médiateur actualité N°35 (mars 2008)
[2] Circulaire ministérielle du 14/12/2000 (n°2000-607)
[3] Cour d’appel de Rouen, 08/01/2008 (n°07/01520)
[4] Cour d’appel de Bordeaux, 19/02/2015 (n°15/05652).
[5] Circulaire CNAM du 31/01/2006 (CIR-9/2006)
[6] Cour de cass. arrêts du 07/072016 (n° 15-20627 ...)


Patrick Hamon : "les sous-traitants des chantiers ont été exposés, mais leurs entreprises ne sont pas sur les listes

Quelles étaient les conditions de travail aux chantiers de Saint-Nazaire  ?

Patrick Hamon : En voyant les belles images des bateaux construits, on a du mal à imaginer comment travaillaient ceux qui les ont construits.

Ils descendaient à fond de cale par un trou d’homme. Tous les corps de métiers intervenaient dans cet espace confiné : menuisiers, soudeurs, chaudronniers, tireurs de câbles... Quand quelqu’un découpait des panneaux en amiante, les poussières s’envolaient et tout le monde en profitait  !

Les salariés étaient employés par le chantier, par une société d’intérim ou par un sous-traitant. Tous respiraient les mêmes fibres d’amiante et bien d’autres produits cancérogènes, tels que les fumées de soudage ou de moteurs diésel.

Comment pouvez-vous les aider pour la «  pré-retraite amiante » ?

P.H. : Monter un dossier est en général assez simple pour un ouvrier des chantiers, plus difficile (mais pas infaisable) pour un intérimaire et c’est presque toujours « mission impossible  » pour un salarié d’une société sous-traitante non inscrite sur les listes.

Quelles sont les problèmes rencontrés pour un intérimaire  ?

P.H. : il peut bénéficier de l’Acaata, s’il prouve qu’il a été exposé à l’amiante en travaillant en intérim sur le chantier.

Apporter cette preuve n’est pas toujours facile : certains n’ont pas gardé de papiers indiquant les dates et le lieu de leurs missions  ; des sociétés d’intérim ont fermé  ; d’autres n’ont plus les documents papier utilisés avant que leur gestion ne soit informatisée...

Depuis deux ans la Carsat nous met des bâtons dans les roues. C’est un véritable parcours du combattant.

Pour faire aboutir ces dossiers, nous faisons appel à des anciens des chantiers, qui se souviennent des noms des bateaux construits. On peut ainsi retrouver à quelles dates des intérimaires y ont travaillé.

Pour les entreprises sous-traitantes la situation est plus difficile.

PH : Oui, une infime minorité d’entre elles a été inscrite sur les listes à la même époque que les chantiers, notamment des entreprises de carénage ou de sablage où travaillaient beaucoup d’Africains. Mais l’écrasante majorité des sous-traitants qui faisaient de la soudure ou de la chaudronnerie par exemple ne sont pas sur les listes.

C’est eux qui faisaient les travaux, les plus durs, les plus sales et les plus exposés et leur entreprise n’est pas sur les listes. C’est très injuste !

C’est la loi qu’il faudrait changer...

PH : Oui, l’Addeva 44 est intervenue à plusieurs reprises auprès des députés ou des sénateurs locaux pour demander que tous les salariés qui ont respiré les mêmes poussières en travaillant sur le même site aient les mêmes droits, quel que soit leur statut.

L’Andeva a porté cette demande lors des débats parlementaires sur la loi de financement de la Sécurité sociale. Une question prioritaire de constitutionnalité a été posée. Mais nos efforts n’ont pas abouti jusqu’ici.


Fonderie du Poitou : la direction veut torpiller l’inscription

L’association AFPA 86 avait demandé l’inscription des fonderies du Poitou (86) sur les listes ouvrant droit à la « pré-retraite amiante ». Le dossier était solide. Le ministère avait dit : oui. Un projet d’arrêté d’inscription pour la période 1981-1996 avait été soumis en mai dernier à la commission accidents du travail - maladies professionnelles (CAT MP) qui avait émis un avis favorable. On attendait sa parution au J.O...

Mais la direction a fait pression sur le ministère en expliquant que l’activité de calorifugeage n’était «  pas significative  ».

Le ministère a annoncé qu’au nom du «  respect du contradictoire » le dossier repasserait devant la CAT-MP le 16 novembre.

Cette reculade a provoqué incompréhension et colère. La lutte continue.


Roussillon : inscription de la plate-forme chimique

Le ministère avait refusé d’inscrire la plate-forme chimique de Roussillon sur la liste des établissements ouvrant droit à la « pré-retraite amiante ».

Le Caper Nord-Isère et la CGT ont saisi le tribunal administratif de Grenoble qui leur a donné raison et a enjoint le ministre de procéder à l’inscription.


Comment sont gérés les dossiers ?

La gestion des dossiers d’allocation de cessation anticipée d’activité «  amiante  »  est regroupée sur 6 caisses régionales (CARSAT). La caisse nationale d’assurance maladie (CNAM-TS) prévoit de tout regrouper sur 3 caisses avant fin 2017.

Ces caisses prennent en charge la recevabilité, l’instruction, le contrôle, le paiement, la gestion et l’archivage.

La situation actuelle

Le périmètre initial des CARSAT de Lyon et de Lille est resté inchangé.

La CARSAT Marseille a récupéré Toulouse et Montpellier.

La CRAMIF (Ile-de-France) a récupéré Clermont Ferrand, Limoges, Strasbourg (qui avait déjà Dijon + Nancy) et 4 TOM-DOM (Réunion, Martinique, Guyane, Gouadeloupe).

La CARSAT de Rouen a récupéré Bordeaux.

La CARSAT de Nantes a récupéré Rennes (qui avait déjà Orléans).

Les prévisions :

La Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM-TS) veut tout regrouper d’ici fin 2017 sur trois caisses régionales : île-de-France, Marseille et Rouen.

Ces regroupements - qu’elle justifie par la baisse du nombre d’allocataires - éloignent les décideurs des demandeurs. Il n’est pas certain que ces derniers soient gagnants.


Article tiré du Bulletin de l’Andeva n° 52 (septembre 2016)