Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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23.Dossier Belgique : la responsabilité d’Eternit enfin reconnue par la Cour d’appel de Bruxelles

1er juin 2017

- Un grand moment de solidarité internationale des victimes
- Communiqué des associations présentes à Bruxelles le 28 mars 2017
- Fonds ’indemnisation : L’Abeva se mobilise contre un
financement au rabais


Un grand moment de solidarité internationale des victimes

Le 27 mars, veille, du procès, des délégations venues de 6 pays se retrouvent à Bruxelles dans une ambiance fraternelle. Chaque délégation parle de la situation des victimes de son pays : Bruno Pesce et Giuliana Busto (Afeva) pour l’Italie, Laurie Kazan (IBAS) et Graham Dring (AVSF) pour l’Angleterre, Sugio Furuya et Chieko Kosuge pour le Japon, Pierrette Iselin et Ariane Valenton (Caova) pour la Suisse, des responsables de l’Avaac de Catalogne et du collectif d’avocats Collectiu-Ronda de Barcelone, Alain Bobbio (Andeva) pour la France.
Une soixantaine de Français sont venus avec le Caper Bourgogne, l’Addeva 44, l’Adeva Centre, l’Addeva 93 et le Caper Ardèche, qui est venu en car de Montélimar.

Eric Jonckheere, Marc Molitor et Marie-Anne Mengeot pour l’Abeva expliquent les enjeux du procès.

Le 28 mars, tous se rassemblent sur les marches du palais de Justice avec une forêt de drapeaux où sont écrits dans toutes les langues les mots : « Eternit : Justice ».

L’émotion est forte quand Eric Jonckheere revient annoncer que la procédure engagée 17 ans plus tôt par sa mère, Françoise, se termine par une victoire : les magistrats ont jugé que le dossier n’est pas prescrit et que la société Eternit connaissait bien depuis longtemps les dangers de l’amiante.

Puis les délégations déposent une gerbe devant le siège d’Etex, branche financière d’Eternit, un coquet manoir dans la banlieue de Bruxelles.

Elles se rendent ensuite devant les grilles de l’usine Eternit de Kapelle, responsable de la mort de quatre membres de la famille Jonckheere. Trois n’y avaient jamais travaillé. Ils habitaient seulement au voisinage.

La journée se termine par la visite d’une brasserie de la région.

Le 29 mars, les représentants des associations se retrouvent pour rédiger un communiqué saluant l’importance de cette victoire et sa portée pour les victimes du monde entier. Il sera traduit dans toutes les langues des pays présents.


Communiqué des associations présentes à Bruxelles le 28 mars 2017

Une grande victoire pour les victimes de l’amiante

Après 17 ans de procédure juridique, la Cour d’appel de Bruxelles a jugé, ce 28 mars 2017, la société Eternit-Belgique fautive et responsable du décès par mésothéliome (cancer de la plèvre dû à l’amiante) de Françoise Vannoorbeek-Jonckheere.

« Les dangers de l’amiante ne se sont pas arrêtés à la porte des usines »

La Cour reconnaît ainsi que Françoise Vannoorbeek-Jonckheere est morte prématurément à cause de la pollution par l’amiante liée aux activités de la plus grosse entreprise d’amiante-ciment au monde, l’usine Eternit de Kapelle-op-den-Bos. Car si l’amiante a d’abord fait des victimes parmi les travailleurs, ses dangers ne se sont pas arrêtés à la porte des usines. Comme le montre malheureusement de manière exemplaire la famille Jonckheere décimée par l’amiante : d’abord le mari de Françoise, Pierre Jonckheere ingénieur chez Eternit, mort de mésothéliome en 1987 ; Françoise morte de mésothéliome en 2000 ; puis deux de leurs fils, Pierre-Paul Jonckheere mort de mésothéliome en 2003 et Stéphane Jonckheere mort de mésothéliome en 2009, tous deux à l’âge de 43 ans. Ni Françoise, ni Pierre-Paul, ni Stéphane n’avaient travaillé chez Eternit. Ils en étaient seulement voisins.

« L’arrêt de la cour d’appel rompt le mur du silence »

L’arrêt de la Cour d’appel est historique pour la Belgique. Il rompt officiellement pour la première fois le mur du silence dans lequel sont encore enfermées de nombreuses familles. En Belgique, depuis 1963, les victimes de maladie professionnelle peuvent prétendre à une indemnisation par le Fonds des maladies professionnelles. Mais en contrepartie, elles ne peuvent aller en justice contre leurs employeurs, sauf à prouver une faute intentionnelle. Ce que Luc Vandenbroucke, mort lui aussi de mésothéliome en 1997, avait tenté en vain. Françoise Vannoorbeek-Jonckheere, victime environnementale, n’était pas liée par ce contrat social. Elle a choisi courageusement de demander justice devant un tribunal en refusant la transaction financière proposée par Eternit pour acheter son silence. Françoise est, à ce jour, la seule à avoir fait ce choix.

« Eternit savait depuis des décennies que l’amiante
mettait en danger les travailleurs »

L’arrêt de la Cour d’appel s’appuie sur de nombreuses preuves historiques et scientifiques qui démontrent qu’Eternit savait depuis des décennies que l’amiante mettait en danger les travailleurs et les riverains de ses usines. En outre l’arrêt rejette l’argument de la prescription invoqué par Eternit. La Cour a considéré que l’exposition de la victime avait été continue des années 1950 aux années 1990, et que les années les plus récentes avaient contribué à sa maladie aussi bien que les premières années.

« Un jugement qui fera date »

Malgré les indemnités très basses accordées à la victime par la Cour d’appel, l’essentiel est acquis : la reconnaissance de la responsabilité fautive de la société et le rejet de la prescription. Ces éléments clé du jugement feront date et pourront même être utilisés en d’autres lieux, par d’autres victimes.

« Des associations venues de 6 pays »

Des associations de victimes de l’amiante de 6 pays (Espagne, France, Italie, Japon, Royaume-Uni, Suisse) étaient présentes à Bruxelles pour exprimer leur solidarité avec les victimes. Elles se réjouissent de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bruxelles. Comme la défense de la famille Jonckheere s’est appuyée sur des décisions de justice prises dans d’autres pays, elles pourront à leur tour utiliser cet arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles partout dans le monde pour qu’Eternit-Belgique et d’autres multinationales de l’amiante ne puissent se soustraire à leurs responsabilités passées et présentes.

« Un encouragement à poursuivre le combat »

L’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles, le premier à condamner Eternit en Belgique et le premier à donner raison à une victime environnementale en Belgique, devrait encourager, dans d’autres pays, les victimes de l’amiante à demander des comptes à ces multinationales de l’amiante qui, pas seulement en Belgique, pas seulement en Europe, mais aussi en Asie et en Amérique latine ont exposé et, pour certaines, exposent encore délibérément des travailleurs et des populations aux dangers de l’amiante.

Encouragées par cette victoire judiciaire, les associations réunies à Bruxelles ce 28 mars 2017 sont déterminées à poursuivre leur combat commun, au nom de toutes les victimes de l’amiante dans le monde, pour obtenir :

-  L’indemnisation complète de toutes les victimes de l’amiante, passées, présentes et à venir,
- L’éradication des sources d’exposition à l’amiante encore présentes aujourd’hui dans les milieux de travail et dans l’environnement,
- Un appui massif et généralisé à la recherche médicale pour enfin traiter les maladies de l’amiante,
- L’interdiction de l’amiante dans le monde.

LES SIGNATAIRES DU COMMUNIQUÉ

- Japan Victims group (Japon)
- CAOVA (Suisse),
- IBAS (UK),
- AFEVA (Italie),
- ANDEVA (France),
- Asbestos Victims
- support group (UK),
- Asociación de víctimas y afectados por el amianto en Cataluña,
- ABEVA (Belgique)


Fonds ’indemnisation : L’Abeva se mobilise contre un financement au rabais

Le matin même du verdict, le gouvernement a annoncé une baisse de la contribution patronale au Fonds d’indemnisation des victimes (AFA).

« Un incroyable téléscopage »

La Libre Belgique a publié une tribune de Marie-Anne Mengeot, administratrice de l’Abeva qui relève un «  incroyable téléscopage » entre deux événements d’actualité sur l’amiante : « Au moment où la justice rend un arrêt retentissant sur la responsabilité fautive historique d’Eternit, le gouvernement dépose un projet de loi qui diminue la contribution des entreprises au financement de l’Afa ! »

Un fonds réclamé par l’association

Marie-Anne Mengeot rappelle que la création de l’AFA il y a 10 ans est le fruit d’un long combat mené par l’Abeva, avec l’appui de parlementaires de divers bords et d’autres acteurs. Ce Fonds, cofinancé par les employeurs et par l’Etat, indemnise des victimes et des familles qui auparavant n’avaient droit à
rien (victimes para-professionnelles ou environnementales, travailleurs indépendants) et il offre un complément d’indemnisation aux victimes professionnelles.

Depuis 10 ans, il a indemnisé 2 600 victimes : 1 870 mésothéliomes, 305 as­besto­ses et 494 épaississements pleuraux diffus bilatéraux.

Un argument fallacieux

Le gouvernement tente de justifier la diminution de la cotisation des entreprises en expliquant que le Fonds a accumulé 80 millions d’euros d’excédent, le nombre de malades étant moins important que prévu. Marie-Anne Mengeot démonte cet argument totalement fallacieux : « Il n’y aurait pas d’excédent si de nombreuses victimes n’étaient pas délibérément exclues du bénéfice de l’Afa ».

A la différence du Fiva en France, le Fonds n’indemnise pas le cancer bronchopulmonaire, pathologie grave pourtant reconnue en maladie professionnelle en Belgique. « L’inclure dans la liste des maladies indemnisées ne demande qu’un arrêté royal du gouvernement, ce qu’il refuse jusqu’ici. », explique Marie-Anne Mengeot.

Et si le nombre de malades est moins important que prévu, c’est aussi parce que « l’Afa reste trop méconnue des malades et des médecins ».

L’Abeva demande le retrait du projet de loi

« Le gouvernement veut réduire à zéro les excédents déjà dégagés alors que ceux-ci pourraient être utilisés au financement du désamiantage, à la prévention, à la formation des professionnels et à la recherche médicale. »

L’Abeva demande le retrait du projet de loi du gouvernement.

Elle réclame aussi l’allongement du délai de prescription au-delà de 20 ans pour tenir compte du temps de latence des maladies qui va bien au-delà.

Elle demande enfin la suppression de l’immunité civile du pollueur, qui interdit à une victime qui recourt au Fonds Amiante d’ester en justice.


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva N°54 (mai 2017)