Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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20.1 Témoignage : "Je suis atteint d’une fibrose rétropéritonéale due à l’amiante

23 septembre 2016

Peu nombreux sont les médecins qui connaissent la fibrose rétropéritonéale, maladie rare, douloureuse, dont le diagnostic précoce est difficile.
Moins nombreux encore sont ceux qui savent que cette maladie - qui ne figure dans aucun tableau de maladie professionnelle - peut être causée par l’inhalation de fibres d’amiante.

Kader [1] a travaillé pendant trente ans au contact de l’amiante chez Bosch à Drancy. Longtemps après, il a été rattrapé par cette maladie.
Soupçonnant une origine professionnelle, Karima [1], son épouse, a cherché sur Internet. Sa ténacité et l’aide de l’association ont permis d’arracher la reconnaissance de cette maladie.

« Avec l’Addeva 93, nous avons obtenu
qu’elle soit reconnue en maladie professionnelle »

« En juillet 2014, j’ai ressenti une douleur importante au flanc droit et à l’abdomen, se souvient Kader. C’était pendant le ramadan. Mon médecin traitant a mis ces symptômes sur le compte du jeûne et les a traités comme des problèmes intestinaux. Mais les douleurs ont persisté. »

Karima, qui a été manipulatrice radio, l’a alors incité à passer une échographie abdominale, bientôt suivie d’un scanner. Ces examens ont révélé la présence d’une fibrose provoquant un rétrécissement des deux uretères et une dilatation du rein gauche.

Des douleurs insoutenables

«  Une nuit, vers deux heures du matin, j’ai ressenti des douleurs insoutenables. Ma femme m’a conduit aux urgences. Les médecins m’ont mis une sonde rénale  », raconte Kader.

«  L’urologue n’avait pas vraiment d’explication sur la cause de cette fibrose, ajoute Karima. En septembre nous avons vu le professeur Mouton qui nous a expliqué que c’était une fibrose rétropéritonéale, une maladie rare sur laquelle on sait peu de choses. »

« J’ai cherché sur Internet »

« Je suis allée sur Internet. J’ai rassemblé tout ce qu’on pouvait trouver sur cette maladie.

Je suis tombée sur un article du Docteur Lucien Privet [2] qui disait que cette maladie méconnue était souvent due à l’amiante.

Je savais que ce matériau est dangereux.

Mon père a travaillé dans le bâtiment. Il a une asbestose liée à l’amiante. J’ai fait son dossier de maladie professionnelle avec l’Addeva 93.

Mon beau-frère a travaillé au CMMP d’Aulnay-sous-Bois et chez Bosch à Drancy, deux entreprises classées « amiante ». Il est mort d’un mésothéliome quelques mois après le diagnostic. Je l’ai accompagné durant sa maladie.
Mon mari a été exposé à l’amiante chez Bosch pendant 30 ans. Il a une hygiène de vie stricte. Il ne fait pas d’abus. J’étais convaincue que sa maladie avait une origine professionnelle. »

« Nous en avons parlé aux médecins, ajoute Kader. Ils ne voyaient pas de rapport entre cette maladie et mon travail. Quant à l’avocate qui s’occupait du préjudice d’anxiété, elle nous a conseillé d’attendre.  »

Il était sans doute difficile d’affronter en même temps une maladie douloureuse et des démarches administratives aléatoires :
«  La maladie provoquait des douleurs atroces, se souvient Karima. Le traitement était lourd, avec des ponctions au niveau du sternum et du bassin et un traitement anti-inflammatoire à l’hydrocortisone. La paperasse nous a découragés. Nous avons d’abord laissé tomber. Au bout de quelques mois, je me suis décidée à reprendre le dossier avec l’association. »

Cette maladie n’étant dans aucun tableau, il fallait monter un dossier solide pour la faire accepter par le système complémentaire de reconnaissance.
« Nous avons fait une recherche bibliographique. La fibrose rétropéritonéale est dans la liste des maladies professionnelles en Finlande [voir ci-contre]. L’Addeva a transmis ces informations avec la demande motivée de reconnaissance. Finalement, en juin 2016, le CRRMP d’Ile-de-France a rendu un avis favorable. »

La maladie est indemnisée, mais les questions demeurent : « Je me suis toujours appliqué à faire consciencieusement le travail qu’on me demandait, dit Kader. Mais, chez Bosch, ce travail a mis en danger ma santé. Je suis parti
en « pré-retraite amiante  » et la maladie est arrivée. Aujourd’hui, je me dis que je n’aurais jamais dû travailler dans ces conditions... »

[1] Les prénoms ont été remplacés par des prénoms fictifs.

[2] « Les maladies de l’amiante n’affectent pas que le poumon et la plèvre » (Bulletin de l’Andeva N°35 - avril 2011)


L’AVIS FAVORABLE DU CRRMP :

« Il y a un lien direct et essentiel
entre le travail habituel et la maladie déclarée »

Le 9 juin 2016, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) d’Ile-de-France a rendu un avis favorable ainsi motivé  :

«  des fibroses rétropéritonéales ont été rapportées dans la littérature avec une exposition à l’amiante.
Un consensus d’experts en 2014 retient un lien avec une exposition à l’amiante quand il n’existe pas d’autres facteurs de risque, en l’absence d’anomalie thoracique radiologique en rapport avec l’exposition à l’amiante.
Il n’existe pas d’autres facteurs de risque de fibrose rétropéritonéale identifiée chez Monsieur XXX.
L’enquête administrative objective une exposition à l’amiante pendant plus de 20 ans.
En conséquence, le comité retient un lien direct et essentiel entre le travail habituel et la maladie déclarée... »


Une maladie rare et mal connue

La Fibrose rétropéritonéale (FRP) ou maladie d’Ormond est une maladie rare (1,3 personnes pour 100 000 habitants). Elle est diagnostiquée le plus souvent chez des sujets âgés de plus de 50 ans et touche deux à trois fois plus d’hommes que de femmes.

Parmi les agents susceptibles de provoquer cette fibrose, on trouve notamment l’amiante, le tabac et certains médicaments.

Cette fibrose est située au niveau du « rétropéritoine » (derrière la cavité abdominale qu’entoure le péritoine).

Le péritoine contient des organes du système digestif. Le rétropéritoine contient des organes de l’appareil urinaire (reins, uretères), de l’appareil digestif (pancréas), des vaisseaux sanguins (aorte) et des nerfs.

La fibrose survient plusieurs dizaines d’années après l’exposition avec la formation d’un tissu fibreux inflammatoire. Elle progresse lentement au début, sans symptômes.

En se développant, elle comprime les uretères, provoquant des douleurs abdominales et/ou des lombalgies, avec souvent de la fatigue, de la fièvre et/ou un amaigrissement.

Ces symptômes n’étant pas spécifiques, le diagnostic est souvent tardif. En cas d’obstruction complète des uretères, apparaissent des douleurs aiguës, pouvant faire penser à des coliques néphrétiques.

Si la maladie n’est pas repérée, identifiée et traitée à temps, l’obstruction des uretères peut provoquer une insuffisance rénale grave.


L’exemple de la Finlande

En Finlande, la fibrose rétropéritonéale est inscrite sur la liste des maladies professionnelles.

Un rapport d’expertise de l’Anses qui dresse un panorama de la situation en Europe le confirme [*]

Cette inscription a été décidée suite aux résultats d’une étude épidémiologique publiée en 2004, qui montrait une fréquence de cette fibrose nettement plus élevée chez des travailleurs de l’amiante finlandais que dans la population générale. 

Le lien entre cette fibrose et l’exposition à l’amiante a été confirmé par diverses études et par un consensus d’experts en 2014.

[*] « Synthèse scientifique et technique sur les expositions professionnelles à l’amiante » rapport d’expertise de l’Anses, mai 2011, page 65.


Article tiré du Bulletin de l’Andeva N°52 (septembre 2016)