Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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14.1 Caper Ardèche : Basaltine (Aubignas) dans le collimateur de la justice

23 septembre 2016

Cet été, plusieurs salariés ont reçu de la juge d’instruction un avis à victime de se constituer partie civile dans la procédure pénale engagée contre l’entreprise Basaltine. Les violations manifestement délibérées et répétées des règles les plus élémentaires de sécurité ont mis en danger des salariés. Certains sont aujourd’hui malades, d’autres sont décédés. Jean-François Maurin, le président du CAPER Ardèche nous explique les enjeux de ce combat judiciaire.

« L’inspecteur du travail avait constaté une situation de danger grave et imminent »

Quelle était l’activité de Basaltine à Aubignas ?

Jean-François MAURIN : Je connais bien cette usine. J’y ai travaillé 19 ans. Elle fabriquait des produits béton. Sur certaines machines, nous nous servions de plaques en amiante-ciment afin de démouler les produits. Ces plaques frottaient sur la machine et produisaient de la poussière. Elles étaient retaillées à la scie circulaire par les menuisiers lorsque les bords étaient ébréchés.

L’usine avait des toits en tôle ondulée. A partir des années 50, afin de garder la chaleur l’hiver et d’éviter les grosses chaleurs l’été, les ateliers ont été isolés par un flocage d’amiante. La projection de ce flocage s’est faite en présence des ouvriers de Basaltine qui ont continué à travailler.

Ce flocage, très friable, s’est dégradé au fil du temps sous l’effet de la vapeur dégagée par les machines. Il tombait en lambeaux, quand les électriciens passaient des câbles au niveau de la sous-toiture.

Il y avait de la poussière partout dans les ateliers. Ils étaient mal isolés. Les jours de grand vent, il y avait des nuages de poussière.

A l’époque, nous n’étions informés ni par la direction ni par le médecin du travail de la dangerosité de l’amiante.

L’employeur savait-il qu’il y avait de l’amiante ?

Il ne pouvait pas l’ignorer. Dès 1996, des analyses avaient confirmé la présence d’amiante dans le flocage. L’inspection du travail et la Caisse régionales d’assurance maladie avaient alors demandé à Basaltine de le retirer.
En 2001, l’entreprise a engagé des travaux non pas de retrait mais de confinement qu’elle a confiés à Actumet, une entreprise extérieure.

L’inspecteur du travail est venu. Les opérateurs portaient un simple masque P 3, la zone de travail était en libre accès, le personnel de Basaltine n’était pas protégé. Il a stoppé le chantier et demandé aux ouvriers de se retirer d’une situation de danger grave et imminent.

Il a exigé une révision du mode opératoire, des équipements de protection adaptés. L’inspecteur avait noté que la majorité des salariés de Basaltine étaient des intérimaires alors que des licenciements économiques étaient intervenus en 1996. Actumet employait aussi des intérimaires, ce que la loi interdit pour des travaux de désamiantage ou de confinement.

La Caisse régionale d’assurance maladie (CRAM) a fait une mise en demeure. Basaltine a finalement été sanctionné par un doublement de son taux de cotisations à l’URSAAF.

Finalement, le patron a préféré vendre cette usine.

Oui, le nouveau PDG a suspendu les travaux de confinement de l’amiante, en annonçant à l’inspecteur qu’il ferait travailler les salariés dans d’autres locaux sans amiante. Mais, en 2003, quand l’inspecteur est revenu, les ouvriers travaillaient encore dans ces locaux où le flocage continuait à se dégrader.
« Vous avez sciemment laissé vos salariés exposés à un risque sérieux ainsi qu’un bâtiment dans un état pitoyable par rapport aux règles relatives à la santé publique » a-t-il écrit au Directeur.

En 2005, les problèmes n’étaient toujours pas réglés et la direction a fermé carrément le bâtiment principal pour éviter d’avoir à payer un désamiantage...

Quelle a été l’intervention du Caper ?

L’association s’est créée en 2003. On compte à ce jour 21 victimes dont 2 décès (l’usine employait de 100 à 200 personnes) !

Le Caper aide les victimes et les familles à faire reconnaître la maladie professionnelle. Nous avons engagé une action aux prud’hommes pour la reconnaîssance du préjudice d’anxiété. Deux des plaignants sont tombés malades durant la procédure.

Nous avons saisi l’inspecteur du travail et la CRAM pour que l’entreprise respecte la réglementation sur les attestations d’exposition et le suivi médical des salariés et des retraités.

Dans la procédure pénale que nous engageons avec maitre Julie Andreu et maître Nadine Melin, plusieurs salariés et le Caper se porteront partie civile. C’est une action très importante pour nous. Il n’y a pas de prévention possible si ceux qui mettent en danger la vie d’autrui restent
impunis.


LES MOTIFS DE
L’INFORMATION CONTRE X

- Mise à disposition du personnel local de travail
sans respect de l’hygiène et de la salubrité,
- Mise en danger d’autrui (risque immédiat de mort ou d’infirmité) par violation manifestement délibérée d’une obligation réglementaire de sécurité ou de
prudence,
- Blessures involontaires avec incapacité supérieure à 3 mois,
- Homicide involontaire.


LA MISE EN DANGER D’AUTRUI

L’article 223-1 du Code pénal prévoit que : « Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. »

C’est la prise de risque qui fonde le délit. La
réalisation du dommage (maladie ou accident) n’est pas une condition nécessaire.

Le danger doit être évident et connu du chef d’établissement.

Le dommage potentiel doit être susceptible de laisser des séquelles définitives (incapacité importante ou décès).

Il s’agit d’une « violation manifestement délibérée », pas d’une simple omission.

C’est une « obligation particulière » qui est violée, c’est-à-dire d’une disposition précise de la loi ou du réglement et non un principe général de sécurité.

Le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) peut mandater son secrétaire pour déposer plainte. Il peut se constituer partie civile. Le délai de prescription est de 3 ans.


Article tiré du Bulletin de l’Andeva N°52 (septembre 2016)