Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante

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CONDà‰-SUR NOIREAU : DIX ANS APRES
Deux dirigeants de Ferrodo-Valeo
enfin mis en examen

30 novembre 2006

La nouvelle a été accueillie avec émotion dans cette vallée cruellement endeuillée par une hécatombe industrielle aussi terrible qu’évitable.

Valeo-Ferrodo fabriquait des produits de friction pour l’industrie automobile (plaquettes de freins, disques d’embrayage), mais aussi des tresses, du tissage d’amiante, des matelas de protection thermique. Les entreprises de la vallée de la Veyre faisaient travailler 2500 à 3000 personnes, auxquelles il faut ajouter les intérimaires, les sous-traitants et les intervenants extérieurs.

On manipulait l’amiante à la fourche

« Dans cette vallée, c’est un véritable empoisonnement collectif qu’ont subi les salariés , leur famille, et toute la population », dit François Martin, le président de l’Aldeva Condé-sur-Noireau.

« Au début l’amiante arrivait sous forme de roches. Elle était broyée sur place et mise en sacs. On la manipulait à la fourche. Les ouvriers rentraient à la maison avec leurs bleus couverts de poussière. Des épouses ont été contaminées en les lavant. Des gamins ont été contaminés en jouant sur les tas de déchets. C’était agréable ; ils étaient blancs comme de la neige... L’usine refourguait même les sacs d’amiante aux agriculteurs pour y mettre leurs patates. »

Pas une seule famille n’a été épargnée

Trente ans après le bilan est terrifiant. « Dans un périmètre d’une quinzaine de kilomètres carrés, il n’y a pas une maison où il n’y ait pas quelqu’un d’atteint par l’amiante : c’est le père, le frère, la mère, les enfants, un oncle ou un cousin… Il ne se passe pas une semaine sans qu’on apprenne un décès. »

Cette hécatombe était évitable. Les responsables doivent rendre des comptes. «  Nous avons engagé environ 1500 procédures en faute inexcusable contre Valeo-Ferrodo. Toutes ont été gagnées », explique François. Mais, pendant dix ans, sur le front du pénal, ce fut l’impasse. Saisi d’une plainte en 1996, le parquet de Caen fait le mort. Puis la mobilisation des veuves de Dunkerque et de toutes les associations porte ses fruits : en juin 2005, le dossier est transmis au pôle de Santé publique à Paris. Les choses se précipitent. La juge Bertella-Geoffroy entend les plaignants, ordonne des auditions et des perquisitions... Elle convoque les personnes tous les responsables de l’entreprise entre 1952 et 1996. Deux d’entre eux se présentent. Un troisième dit qu’il est malade. Les autres ne répondent pas. La juge notifie deux mises en examen.


YVETTE CHAUVEL TÉMOIGNE :
« Ils nous ont fait crever du travail »

« Pour moi, ce procès vient trop tard. Il y a 30 ans qu’on aurait dû le faire. J’ai été reconnue en maladie professionnelle à 39 ans, en 1971, avec 40% d’incapacité. A l’époque j’avais essayé de faire quelque chose avec la FNATH et le Secours rouge. Cela n’a pas débouché. A Flers, ils nous avaient même envoyé les CRS...

Pendant plus de 30 ans les dirigeants de Ferodo ont laissé empoisonner les gens, meurtrir les familles. Maintenant que la faute inexcusable est reconnue, ils disent qu’ils sont responsables, mais pas coupables. Mais ils savaient tous que c’était dangereux. Les ouvriers, eux, ne savaient pas. Je suis rentrée dans l’usine en 1958. On m’a déplacée à Condé en 1966. Sur mon dossier il y avait marqué « sujet à ne pas laisser en contact avec l’amiante ». On ne m’avait rien dit… Un jour je suis allée voir le médecin du travail. J’étais déjà malade. Il m’a dit que j’avais les poumons d’une jeune fille de 20 ans !

La sécurité sociale n’a rien fait pour empêcher ça. Pourtant elle recevait les déclarations de maladies professionnelles.

Je vois encore les roches d’amiante arriver dans l’usine, et les gars les broyer sur des meules. L’inspection du travail n’a pas levé le petit doigt.
L’Etat a laissé faire. Le Préfet savait qu’en Basse Normandie les gens crevaient de faim et cherchaient du travail.

Ils nous ont fait crever du travail...

Aujourd’hui je suis à 100% d’incapacité ; j’ai subi de graves opérations ; on m’a enlevé les deux plèvres ; je suis toutes les nuits sous oxygène. Je vis au bout d’une ficelle, tous les jours. Je sais ce qui m’attend. Ce qu’on m’a donné est dérisoire par rapport aux souffrances que j’endure.

En juin j’ai encore perdu une amie, décédée de l’amiante.

Je suis révoltée par ce qu’ils ont fait. Il faut punir les responsables de Valeo. Ils ont du fric. Il faut les obliger à tout payer, y compris nos frais de justice. »



Articles parus dans le Bulletin de l’Andeva N° 21 (novembre 2006)